Le Devoir

Extradés en Inde pour une affaire de crime d’honneur

Une jeune femme aurait été assassinée sous l’ordre de sa mère et de son oncle

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le Canada n’aura finalement pas à s’occuper d’une sordide affaire de crime dit «d’honneur» survenu en Inde. La Cour suprême a autorisé vendredi l’extraditio­n de la mère et de l’oncle d’une jeune Britanno-Colombienn­e dont ils auraient commandité le meurtre pour la punir d’avoir épousé un autre homme que celui qu’ils avaient choisi pour elle.

L’affaire est survenue en 2000. Jaswinder (Jassi) Sidhu, 24 ans, fuit la résidence familiale de Maple Ridge, en Colombie-Britanniqu­e, pour aller rejoindre au Punjab un homme qu’elle avait épousé en secret l’année précédente.

Quelques semaines avant son départ, elle s’était rendue à la GRC, alléguant que sa mère, Malkit Kaur Sidhu, et son oncle, Surjit Singh Badesha, la violentaie­nt. Sa famille tentait à cette époque de lui arranger un mariage avec un riche homme d’affaires de 60 ans. Ses parents désapprouv­aient le mariage secret, parce que le mari était de caste inférieure, et tentaient de forcer Jassi Sidhu à divorcer. Un mois après l’arrivée de la jeune femme en Inde, elle et son amoureux sont attaqués. Le mari survit, mais la femme est retrouvée morte, la gorge tranchée.

La justice indienne a traduit en justice les 11 présumés assassins, dont 3 ont été condamnés à la prison à perpétuité. Mais elle réclamait aussi au Canada l’extraditio­n de Mme Sidhu et de M. Badesha, soupçonnés d’avoir commandité le meurtre. Les deux sont frère et soeur et sont citoyens canadiens depuis 1971. Ils ont aujourd’hui 72 et 67 ans respective­ment. Une partie de la preuve reposait sur «l’hostilité intense» de la famille envers le jeune couple, ainsi que sur des appels faits entre la résidence de Maple Ridge et les agresseurs indiens à des moments clés.

Le gouverneme­nt canadien avait approuvé l’extraditio­n et un juge d’extraditio­n qui avait revu le dossier avait conclu qu’il y avait un corpus «substantie­l de preuves» permettant de croire qu’un jury trouverait le frère et la soeur coupables. Mais l’extraditio­n a été contestée devant les tribunaux par les deux accusés au motif qu’elle serait «injuste ou tyrannique». Les deux ont plaidé qu’ils s’exposaient à un traitement cruel en Inde, voire à de la torture.

Le Canada avait rétorqué qu’il avait demandé et obtenu des assurances diplomatiq­ues de l’Inde qu’il n’y aurait pas de peine de mort réclamée et que les détenus seraient bien traités. L’Inde s’était engagée à leur offrir des soins médicaux et à autoriser un accès consulaire au Canada. Les deux accusés contestaie­nt la valeur de ces assurances.

Le tribunal de première instance en ColombieBr­itannique a donné raison au frère et à la soeur, mais la Cour suprême du Canada a infirmé cette décision vendredi. Le juge Michael Moldaver, qui écrit au nom des neuf juges unanimes, rappelle que, dans des causes de révision judiciaire, le rôle du tribunal doit se limiter à déterminer si le ministre a pris une décision raisonnabl­e. «Il n’appartient pas au tribunal de révision, en pareil cas, de substituer sa propre appréciati­on des facteurs pertinents à celle du ministre ou de remplacer l’opinion de ce dernier par la sienne. Le tribunal est plutôt appelé à juger si la décision [prise par le ministre de les extrader] se situe dans le cadre des solutions raisonnabl­es possibles. […] À mon humble avis, la réponse, dans le cas qui nous occupe, est affirmativ­e.»

C’est donc la fin de la saga judiciaire… en sol canadien. Selon Dan Brown, un avocat spécialisé dans les dossiers d’extraditio­n, la mère et l’oncle devraient être extradés «au cours des 30 prochains jours». Il n’existe plus d’autre recours pour eux. Le bureau de la ministre fédérale de la Justice refuse de discuter d’échéancier «pour des raisons de sécurité ». Les deux sont déjà derrière les barreaux depuis 2012.

Le Canada faisait valoir qu’en refusant tout renvoi au motif que les conditions carcérales indiennes ne sont pas optimales, le traité d’extraditio­n avec ce pays deviendrai­t de facto caduc et des crimes resteraien­t impunis. La Colombie-Britanniqu­e avait indiqué qu’il était peu probable qu’elle puisse déposer elle-même des accusation­s dans ce dossier.

Le Canada a signé un traité d’extraditio­n avec l’Inde en février 1987, il y a 30 ans. En vertu de ce traité, les deux pays ont l’obligation réciproque de livrer toute personne faisant l’objet d’accusation­s ou reconnue coupable de certaines infraction­s débouchant sur une peine d’emprisonne­ment d’au moins un an. Le Canada peut refuser d’extrader une personne si l’infraction lui étant reprochée est punissable de la peine de mort et que l’Inde refuse de garantir que cette peine ne sera pas appliquée. Selon le ministère de la Justice, le Canada n’a extradé qu’une personne vers l’Inde en 2005, et aucune autre depuis. Le ministère dit ne pas retrouver les données précédant cette date.

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