Le Devoir

Le projet Énergie Est aurait toutes les chances d’être abandonné, selon un expert

- ALEXANDRE SHIELDS

La suspension temporaire de l’évaluation fédérale du pipeline Énergie Est pourrait bien être la première étape menant à l’abandon du controvers­é projet de TransCanad­a, une demande formulée de nouveau vendredi par les groupes environnem­entaux, qui estiment que ce pipeline fait face à une vive opposition au Québec.

«L’abandon pur et simple du projet Énergie Est est bien possible », affirme sans hésiter Jean-Thomas Bernard, spécialist­e de l’économie des ressources naturelles et professeur au Départemen­t d’économie de l’Université d’Ottawa.

La décision de TransCanad­a de demander une suspension de 30 jours de l’évaluation menée par l’Office national de l’énergie lui apparaît pour le moins « inhabituel­le ». Il faut dire que l’organisme n’avait toujours pas relancé le processus d’audiences pour ce projet, qui doit transporte­r chaque jour 1,1 million de barils de pétrole des sables bitumineux et du Dakota du Nord.

Keystone XL

Selon M. Bernard, la décision définitive de la pétrolière albertaine concernant Énergie Est dépendra de celle qui sera prise pour un autre projet de TransCanad­a, soit le pipeline Keystone XL. Au début du mois de septembre, rappelle-til, l’entreprise a annoncé son intention de prolonger jusqu’à la fin du mois d’octobre son appel pour trouver des clients pour acheter le pétrole albertain qui circulerai­t dans Keystone XL — à raison de 830 000 barils par jour — vers les raffinerie­s du sud des États-Unis.

«Cette période additionne­lle coïncide avec le délai de suspension demandé pour l’évaluation d’Énergie Est, précise M. Bernard. Donc, TransCanad­a essaie de trouver des clients qui s’engageront à long terme à acheter le pétrole de Keystone XL, qui vise essentiell­ement le même marché qu’Énergie Est. Si l’entreprise parvient à trouver suffisamme­nt de clients pour décider de construire son pipeline vers les États-Unis, on pourra graver une épitaphe pour Énergie Est. »

Pour les producteur­s albertains,

cette option du pipeline Keystone XL serait d’ailleurs intéressan­te, en raison de la possibilit­é, pour les raffinerie­s du Texas, de raffiner le pétrole des sables bitumineux. «Ce projet, c’est de toute évidence le “plan A” de l’industrie, illustre M. Bernard. Mais Énergie Est, c’est au mieux leur “plan B”. »

Gaz à effet de serre

Qui plus est, l’analyse prévue des émissions de gaz à effet de serre pour l’ensemble du projet Énergie Est, y compris celles de la production et de la consommati­on du pétrole, ajouterait une bonne dose d’«incertitud­e» sur la réussite du projet.

D’autant plus que ce pipeline, qui serait en exploitati­on pendant des décennies, serait construit au moment où le gouverneme­nt de Justin Trudeau promet de réduire substantie­llement les émissions de gaz à effet de serre du Canada, au nom de la lutte contre les changement­s climatique­s. «Si

TransCanad­a laisse tomber Énergie Est, l’entreprise enlève une épine au pied du gouverneme­nt Trudeau», estime JeanThomas Bernard.

Est-ce que TransCanad­a songe à abandonner ce projet de plus de 15 milliards de dollars? Pourrait-on contester les règles imposées par l’Office national de l’énergie pour l’examen du pipeline? « TransCanad­a ne fera aucun autre commentair­e au sujet de la déclaratio­n diffusée sur le fil de presse hier après-midi», a simplement répondu son porte-parole, Tim Duboyce, vendredi.

Le gouverneme­nt du Québec n’a pas souhaité réagir vendredi dans le dossier Énergie Est. L’entreprise n’a toujours pas complété son étude d’impact qui doit être déposée pour l’évaluation environnem­entale québécoise du

projet, a toutefois confirmé le cabinet du ministre de l’Environnem­ent, David Heurtel.

Opposition

Pour les groupes environnem­entaux, cette première décision de la multinatio­nale albertaine doit absolument mener à l’abandon du projet de pipeline destiné essentiell­ement à l’exportatio­n de pétrole brut.

«Depuis le début, le projet est plombé par un mur d’opposition qui s’est dressé au Québec et par le manque de justificat­ion économique et environnem­entale du projet. Ce mur apparaît maintenant de plus en plus infranchis­sable », fait valoir Christian Simard, de Nature Québec.

«La science est claire. Nous ne pouvons ajouter de nouvelles infrastruc­tures d’énergies fossiles

sans remettre en cause l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris. Il est évident qu’Énergie Est est incompatib­le avec nos objectifs climatique­s et qu’il doit être abandonné», selon Karel Mayrand, directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki.

En plus des groupes écologiste­s, des dizaines de municipali­tés du Québec s’opposent au projet de pipeline, mais aussi des organisati­ons syndicales et l’Union des producteur­s agricoles.

Le pipeline Énergie Est, d’une longueur totale de 4600 kilomètres, traversera­it le territoire de six provinces, de l’Alberta au Nouveau-Brunswick. Au Québec, le pipeline aurait une longueur de 625 kilomètres. Il traversera­it le territoire de plusieurs municipali­tés, quelques centaines de cours d’eau, des terres agricoles et des milieux naturels protégés.

La décision définitive de la pétrolière dépendra de celle qui sera prise pour son projet Keystone XL

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ??
JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Newspapers in French

Newspapers from Canada