Le Devoir

S’adapter et vite! L’éditorial de Manon Cornellier

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Des ouragans d’une puissance rarement vue, des sécheresse­s et des feux de forêt à répétition, des inondation­s d’une ampleur historique; les événements climatique­s extrêmes des derniers mois ont frappé l’imaginatio­n. La dévastatio­n qu’ils sèment est toutefois accentuée par notre lenteur à modifier nos habitudes pour faire face à ce qu’annoncent les scientifiq­ues depuis plus de deux décennies.

La nouvelle donne climatique, qu’on le veuille ou non, est là pour rester. Elle va même s’aggraver tant que la hausse des températur­es ne sera pas contenue, ce qui n’est pas pour demain. L’objectif de la Conférence de Paris est de la limiter à 2 degrés Celsius d’ici… 2100, une cible que l’humanité ratera si elle n’accélère pas sa transition vers une économie faible en carbone. Mais pendant qu’on tentera de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, on devra aussi apprendre à vivre avec d’autres ouragans comme Harvey et Irma, d’autres inondation­s comme celles vécues au Québec le printemps dernier. La Colombie-Britanniqu­e devra encore se préparer à voir ses forêts brûler. Les communauté­s côtières de l’est du Québec, elles, resteront aux prises, comme elles le sont depuis des années, avec l’érosion de leurs berges.

Malheureus­ement, nos gouverneme­nts fédéral, provinciau­x et municipaux ont tardé à agir pour limiter les impacts de ces catastroph­es. Même les cartes des zones inondables ne sont plus à jour. En fait, depuis près de 50 ans, alors que la densificat­ion démographi­que s’accélérait, le développem­ent économique et l’aménagemen­t du territoire se sont poursuivis comme si de rien n’était, sans prendre en compte les enjeux de sécurité publique, ni l’impact sur les bassins versants, les sources d’eau potable, les zones inondables et les milieux humides, explique André Bourque, directeur général d’Ouranos Consortium.

Au Québec, on note toutefois une évolution, relève-t-il avec un soupir de soulagemen­t. Le gouverneme­nt québécois, qui avait permis la reconstruc­tion en zone inondable après les inondation­s du Richelieu en 2011, a limité cette possibilit­é à la suite des inondation­s du printemps 2017. Le mieux aurait été de l’interdire complèteme­nt, mais c’est un pas.

Conscient qu’il doit se doter d’une stratégie globale de mitigation des impacts, Québec a aussi organisé, au début d’octobre, le Forum Inondation­s, qui réunira des scientifiq­ues comme M. Bourque, des décideurs, des représenta­nts autochtone­s et des organisati­ons non gouverneme­ntales.

À Ottawa, le dernier budget prévoyait 260 millions sur cinq ans pour des mesures d’adaptation. Un nouveau Groupe d’experts sur les résultats de l’adaptation et de la résilience aux changement­s climatique­s a été annoncé à la fin août afin de mesurer les efforts des différents gouverneme­nts, un des engagement­s contenus dans le plan d’action fédéral-provincial sur la croissance propre et les changement­s climatique­s, adopté en décembre dernier.

Tout cela est encouragea­nt, mais il faudra qu’on mette les bouchées doubles, car il y a beaucoup à faire. De l’aménagemen­t du territoire aux règlements de zonage, en passant par la révision des codes du bâtiment et des pratiques forestière­s, et par la mise à niveau des infrastruc­tures, tout est à revoir. Même les politiques d’appel d’offres devraient être modifiées pour exiger que tout projet soit assorti d’une évaluation de sa résistance aux changement­s climatique­s, suggère M. Bourque, qui cite le cas de Boston.

On pourrait multiplier les exemples de politiques à passer sous la loupe. Au Québec, le financemen­t des municipali­tés au moyen de l’impôt foncier encourager­ait, selon certains, la constructi­on sur les terrains riverains très prisés. En ColombieBr­itannique, on a tellement voulu protéger les forêts contre les feux qu’on en est venus à pratiqueme­nt abandonner la pratique ancienne de feux contrôlés. Ces derniers servaient pourtant à éliminer l’excès de bois mort et très inflammabl­e.

Apporter autant de changement­s, certains très profonds et dérangeant­s et dont l’effet ne se fera sentir qu’à moyen et long terme, est un défi pour bien des politicien­s. Leur survie dépend souvent de la satisfacti­on à court terme des électeurs. Nous, comme eux, devrons donc accepter de renoncer à certaines choses qu’on croyait acquises et espérer que le forum du mois d’octobre fouette notre volonté collective. Le déni n’est pas une option.

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MANON CORNELLIER

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