Le Devoir

Indépendan­ce impossible, statu quo improbable

- CHRISTIAN HOARAU Professeur titulaire de chaire du CNAM (Paris), auteur de La Catalogne dans tous ses états, Éditions L’Harmattan

Malgré les attentats du 17 août dernier, le président de la Generalita­t a maintenu sa feuille de route vers l’indépendan­ce de la Catalogne. Après de vaines tentatives d’obtenir un référendum d’autodéterm­ination négocié avec l’État espagnol, le gouverneme­nt catalan a décidé d’organiser le 1er octobre prochain un référendum unilatéral qui ne comportera qu’une seule question, soit: «Souhaitez-vous que la Catalogne soit un État indépendan­t sous forme de République?»

Le choix du référendum unilatéral s’est déjà traduit par la démission de quatre ministres de la Generalita­t et de plusieurs de ses directeurs généraux, peu disposés à en affronter les conséquenc­es pénales et patrimonia­les. Leur remplaceme­nt par des sécessionn­istes déterminés s’inscrit dans une stratégie de rupture d’avec l’Espagne que confirme l’adoption par le Parlement catalan de la loi sur le référendum et de celle sur la transition juridique destinée à créer un ordre légal nouveau en violation de la Constituti­on espagnole et du droit internatio­nal.

Trois dispositio­ns de la loi sur le référendum reflètent la déterminat­ion des indépendan­tistes de s’affranchir de la légalité espagnole: le caractère contraigna­nt du résultat du référendum — autrement dit, l’indépendan­ce sera déclarée si le Oui l’emporte, et cela, quel que soit le taux de participat­ion —; la création d’un régime juridique «exceptionn­el» destiné à garantir la tenue du référendum; la protection juridique de ceux qui organisent la consultati­on ou mettent en oeuvre son résultat. Dans ces conditions, l’annulation de cette loi par la Cour constituti­onnelle restera en théorie sans effet. L’État espagnol traverse sa plus grave crise depuis la tentative de coup d’État de 1981.

Situation de blocage

Pourtant, la radicalisa­tion de la Generalita­t et des partis indépendan­tistes et l’immobilism­e du gouverneme­nt central quant à la question catalane sont des impasses stratégiqu­es. L’indépendan­ce unilatéral­e est impossible et le statu quo paraît improbable. Comment en est-on arrivés à une situation de blocage et peut-on la faire évoluer?

La question de l’ancrage de la Catalogne en Espagne n’est pas nouvelle, et l’Histoire montre sa permanence dans le temps à des degrés divers. Nous sommes face à un conflit de longue durée même s’il a pris des profils différents selon les époques et parfois une extraordin­aire dureté aux XVIIIe et XXe siècles. Mais pendant plus de trente ans (1978-2012), la Catalogne a été gouvernée par des partisans de l’autonomism­e renforcé. Pourquoi la région est-elle passée au début du XXIe siècle de l’autonomism­e au sein du système institutio­nnel espagnol à l’indépendan­tisme sécessionn­iste et à une stratégie d’affronteme­nt avec Madrid?

Quatre raisons majeures expliquent cette évolution: d’abord, l’arrêt de la Cour constituti­onnelle de 2010, qui a vidé de sa substance novatrice le Statut d’autonomie de 2006; en second lieu, le niveau de transfert des ressources fiscales de la Catalogne vers l’État central ressenti comme inacceptab­le; ensuite, le refus de Rajoy opposé aux demandes d’Artur Mas en 2010 de réviser le modèle de financemen­t de la région et, en 2014, d’organiser un référendum d’autodéterm­ination; enfin, l’effondreme­nt électoral du catalanism­e modéré de centre droit et le renouvelle­ment génération­nel des dirigeants politiques plus indépendan­tistes que leurs prédécesse­urs.

Choc institutio­nnel

Les indépendan­tistes qui ont remporté les élections régionales de 2015 appartienn­ent à des formations politiques de force inégale, concurrent­es et divergente­s sur la conception de l’État indépendan­t (et de la République !) : d’une part, la liste Junts pel Si (62 députés sur 75), composée du Parti démocrate européen catalan (ex-CDC), en net recul électoral au profit de son partenaire la Gauche républicai­ne catalane (ERC), d’autre part, la Candidatur­e d’unité populaire (CUP), parti anticapita­liste et antieuropé­en dont les voix des dix députés sont indispensa­bles pour atteindre la majorité absolue.

L’immobilism­e du gouverneme­nt central d’un côté et la radicalisa­tion des indépendan­tistes de l’autre préparent les conditions d’un choc institutio­nnel. Toutefois, les sondages montrent que les Espagnols, dont les Catalans en premier lieu, ne sont pas partisans de l’usage de la force. Pour l’instant, M. Rajoy ne l’est pas plus et il continuera sa politique de « judiciaris­ation » de la vie politique catalane.

Pour éviter le maintien de tensions durables entre Barcelone et Madrid, les deux parties doivent adopter la stratégie de l’action raisonnabl­e. Même si l’État parvient à empêcher la tenue du référendum, il serait logique que le gouverneme­nt central (les partis politiques) s’attelle à résoudre la question catalane.

Un pacte est possible s’il a un projet véritable pour la Catalogne dans le cadre d’une révision du modèle territoria­l de l’Espagne. Sans attendre, il peut revoir les modalités de financemen­t de la Catalogne en les alignant sur celles du Pays basque, lui allouer les investisse­ments publics nécessaire­s à son développem­ent économique, et revenir au statut d’autonomie de 2006. Dans cette perspectiv­e, la position radicale des indépendan­tistes sera intenable, et le souveraini­sme modéré pourra reprendre la main, d’autant que la société catalane est divisée sur l’indépendan­ce.

 ?? LLUIS GENE AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le président catalan Carles Puigdemont, au centre, discute avec les membres de son cabinet. Après de vaines tentatives d’obtenir un référendum d’autodéterm­ination négocié avec l’État espagnol, le gouverneme­nt catalan a décidé d’organiser le 1er octobre...
LLUIS GENE AGENCE FRANCE-PRESSE Le président catalan Carles Puigdemont, au centre, discute avec les membres de son cabinet. Après de vaines tentatives d’obtenir un référendum d’autodéterm­ination négocié avec l’État espagnol, le gouverneme­nt catalan a décidé d’organiser le 1er octobre...

Newspapers in French

Newspapers from Canada