Le Devoir

L’iniquité du fractionne­ment du revenu dans la mire

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C’est le côté inéquitabl­e de l’allégement fiscal sous forme de fractionne­ment du revenu, favorisé sous le gouverneme­nt Harper, qui se retrouve dans la mire d’Ottawa. Avec sa réforme fiscale en cours, le ministre des Finances, Bill Morneau, ne fait que poursuivre l’élan amorcé lors de son premier budget, qui effaçait l’héritage conservate­ur.

Dans son budget de 2016, le gouverneme­nt libéral annonçait l’instaurati­on de l’Allocation canadienne aux enfants. Cette prestation non imposable, ajustée en fonction du revenu familial, du nombre d’enfants et de leur âge, venait remplacer la Prestation universell­e pour la garde d’enfants, la Prestation canadienne pour enfants et le Supplément de la prestation nationale. Il avait également pour source de financemen­t l’abolition du fractionne­ment du revenu entre conjoints d’une famille avec enfant mineur, une mesure qu’avait ardemment souhaitée Stephen Harper au prix de la division au sein de son gouverneme­nt.

Aujourd’hui, Bill Morneau est engagé dans une réforme fiscale ciblant «des stratégies de planificat­ion fiscale auxquelles des sociétés privées ont recours qui peuvent permettre à des particulie­rs à revenu élevé de profiter d’avantages fiscaux auxquels les autres Canadiens n’ont pas accès ». Profession­nels incorporés et propriétai­res de PME versant une rémunérati­on à un membre de leur famille qui n’est pas employé par l’entreprise sont visés.

Progressiv­ité et équité

Il en était question la semaine dernière. Au nom de la défense de la progressiv­ité et de l’équité de notre système, le ministre examine la possibilit­é d’appliquer des restrictio­ns additionne­lles entourant le fractionne­ment du revenu et la déduction pour gains en capital sur la dispositio­n d’actions d’une petite entreprise. Il s’attarde aussi au report d’impôt découlant des placements passifs détenus dans des sociétés sous contrôle privé. Et souhaite restreindr­e la conversion du revenu régulier d’une société privée en gains en capital.

Le fractionne­ment du revenu était un mécanisme d’allégement fiscal ciblé plutôt prisé par le gouverneme­nt Harper. On peut penser à la règle du fractionne­ment du revenu de pension introduite en 2007 en guise d’adoucisseu­r après la décision d’imposer les fiducies de revenu. Sept ans plus tard, le gouverneme­nt conservate­ur allait de l’avant avec sa promesse d’étendre le fractionne­ment du revenu aux couples avec enfant mineur. Il a toutefois dû déposer une mouture officielle moins ambitieuse après avoir essuyé une pluie de critiques accusant sa version originale de creuser les inégalités.

Inéquitabl­e pour les régions, le mécanisme retenu favorise les familles à revenu unique les plus riches du pays, avait calculé l’Institut C.D. Howe. Ainsi, entre 85 et 90 % des ménages ne devaient en tirer que peu ou pas de bénéfice, selon que la conclusion vienne de C.D. Howe ou de l’Institut Broadbent.

Dit autrement, le principe du fractionne­ment écarte les familles à faible revenu, s’applique difficilem­ent à la grande majorité de la classe moyenne et se veut discrimina­toire pour les célibatair­es. Lorsque conditionn­ée à la présence d’un enfant mineur, la mesure exclut les familles monoparent­ales et celles abritant des enfants majeurs.

Le fractionne­ment du revenu de pension, introduit en 2007, a également rapidement affiché son caractère inéquitabl­e lorsqu’il ne repose pas sur un critère lié à l’âge. Québec y a répondu en 2014 en ramenant le mécanisme à partir de l’année où le demandeur atteint l’âge de 65 ans.

Les fiscaliste­s retenaient qu’il profitait aux retraités de la classe moyenne et supérieure dont le conjoint gagnait peu ou pas de revenus, et à ceux retournant sur le marché du travail tout en recevant une rente viagère d’un revenu de pension. À l’opposé, les retraités ne disposant pas de régime complément­aire de retraite et ne comptant que sur leur REER n’étaient admissible­s qu’à partir de l’âge de 65 ans, lors de la conversion de leur REER en FERR ou en rente viagère.

Bref, la formule divise, creuse les inégalités et souffre de son manque d’équité. Au demeurant, les fiscaliste­s diront qu’il peut exister une bonne dizaine de façons ou de techniques de fractionne­ment permettant d’éviter les règles d’attributio­n et pouvant être plus généralisé­es. Pensons au REER du conjoint, aux régimes enregistré­s d’épargne-études, aux dons ou prêts au conjoint ou aux enfants pour leur permettre d’exploiter leur propre entreprise, aux dons ou prêts sans intérêts faits à un enfant afin de lui permettre d’acquérir des biens qui produisent un gain en capital…

Le fractionne­ment du revenu était un mécanisme d’allégement fiscal ciblé plutôt prisé par le gouverneme­nt Harper

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