Le Devoir

L’ONU exhorte Aung San Suu Kyi à « se mobiliser » pour les Rohingyas

Les capacités d’accueil au Bangladesh sont saturées, affirme le Haut commissari­at aux réfugiés

- SAM JAHAN à Cox’s Bazar

L’ONU a tiré vendredi la sonnette d’alarme et enjoint à la dirigeante Aung San Suu Kyi de «se mobiliser» : le nombre de musulmans rohingyas ayant fui les violences au Myanmar ces deux dernières semaines s’élève désormais à 270 000.

«Sur les deux dernières semaines, quelque 270 000 réfugiés rohingyas ont cherché refuge au Bangladesh», a annoncé le Haut commissari­at aux réfugiés (HCR) de l’ONU dans un communiqué.

Ces réfugiés viennent s’ajouter à plus de 87 000 personnes ayant déjà fui ces derniers mois, ce qui signifie que près du tiers des Rohingyas du Myanmar (estimés à un million) sont désormais au Bangladesh. L’agence onusienne s’inquiète de ce que les capacités d’accueil au Bangladesh sont désormais saturées, avec des camps de fortune émergeant le long des routes et une crise humanitair­e en vue.

Les civils rohingyas fuient les violences dans leur région depuis des attaques fin août contre des postes de police par les rebelles de l’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA), qui dit vouloir défendre les droits bafoués de cette minorité musulmane. Depuis, l’armée du Myanmar a lancé une vaste opération dans cette région pauvre et reculée, qui a fait plus de 430 morts, principale­ment des «terroriste­s» rohingyas, selon les forces de sécurité.

La rapporteus­e spéciale de l’ONU pour le Myanmar, Yanghee Lee, a estimé dans une déclaratio­n à l’AFP vendredi que plus d’un millier de personnes, essentiell­ement des Rohingyas, pourraient avoir été tuées. Elle a exhorté Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991 à «montrer au monde que ce pour quoi elle s’est battue était un Myanmar libre et démocratiq­ue» et à «se mobiliser» dans cette crise.

«Je crois que cela va être une des pires catastroph­es que le monde et le Myanmar ont vu ces dernières années », a-t-elle ajouté, déplorant l’absence d’accès à cette région de l’ouest du pays.

La pression monte

Vendredi, plus de 5000 personnes ont manifesté en Indonésie pour demander la fin des violences contre les Rohingyas. Des milliers de manifestan­ts se sont rassemblés dans les principale­s villes du Pakistan, dont plus de 2000 à Karachi, ainsi que plusieurs centaines à Jalalabad en Afghanista­n. À travers le Bangladesh, ce sont plus de 15 000 manifestan­ts qui ont dénoncé le « génocide rohingya».

La pression monte donc sur Aung San Suu Kyi, qui pour l’heure s’est contentée d’un communiqué dénonçant la «désinforma­tion» des médias internatio­naux et d’une entrevue jeudi à la télévision indienne. «Nous devons prendre soin de tous ceux qui vivent dans notre pays, qu’ils soient citoyens ou pas», y dit-elle, dans de premiers mots de compassion depuis le début de la crise.

«Les Rohingyas sont une minorité musulmane apatride qui subit discrimina­tion et extrême pauvreté depuis plusieurs décennies » au Myanmar, insiste de son côté le HCR.

Un million de Rohingyas vivent au Myanmar, depuis des génération­s pour certains, sans aucune reconnaiss­ance, en faisant la population apatride la plus importante au monde. « Ils n’ont pas accès aux droits fondamenta­ux, comme la liberté de mouvement, le droit à l’éducation, au travail», rappelle le HCR.

Au Myanmar, les Rohingyas sont victimes de multiples discrimina­tions — travail forcé, extorsion, restrictio­ns à la liberté de mouvement. Depuis 2011 et la dissolutio­n de la junte militaire ayant régné pendant près d’un demi-siècle sur le pays, les tensions entre communauté­s se sont accrues.

Un puissant mouvement de moines nationalis­tes n’a cessé d’attiser la haine, estimant que les musulmans représente­nt une menace pour le Myanmar, pays bouddhiste à plus de 90 %.

Au Bangladesh, les réfugiés rohingyas continuaie­nt d’affluer vendredi. Depuis dix jours, 86 corps ont été retrouvés sur les bords de la rivière Naf, frontière naturelle entre le Myanmar et le Bangladesh, de petits bateaux de pêche remplis de réfugiés faisant naufrage.

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UZ ZAMAN AGENCE FRANCE-PRESSE Après avoir fui la violence au Myanmar, les réfugiés rohingyas vivent dans des sites improvisés surpeuplés le long de la frontière avec le Bangladesh, comme ici au camps de réfugiés Kutupalong.

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