Le Devoir

Mon Doux Saigneur ira où vous n’irez pas

- PHILIPPE RENAUD Collaborat­eur Le Devoir

Révélé en finale du concours Francouver­tes en 2016, l’auteur-compositeu­r-interprète Emerik St-Cyr Labbé, alias Mon Doux Saigneur, lance un premier album qui met la barre haute en cette rentrée musicale québécoise chargée. En traversant l’album, intitulé Mon Doux Saigneur, on est d’abord frappé par sa sensibilit­é, sa perception des choses, transcrite­s par une poésie inquisitri­ce. Ses observatio­ns sont fines, il a de plus la faculté de désoriente­r l’auditeur par ses références musicales peu fréquentée­s en chanson d’ici.

«Après un trip au B.-C., je suis venu m’installer à Montréal, déballe Emerik St-Cyr Labbé. Ça m’a pris deux ou trois ans avant de comprendre le circuit du métro, comprendre où je voulais aller et, surtout, où je ne voulais pas aller. Parce qu’au début, je faisais un peu n’importe quoi. J’allais où les gens allaient […]. Aujourd’hui, je comprends mieux ma place et mon rôle ici. Moi, je fais de la musique. C’est ainsi que je me mêle au monde. »

Un grand sensible, Emerik, et aussi un grand timide. Ça s’entend dans ses réponses. Ce type est un moulin à paroles, un livre ouvert. Il parle pour meubler le silence et chante pour tuer l’ennui. «Un moment donné, en vieillissa­nt, tu comprends que t’es bon dans trois ou quatre choses, et c’est ça qui te donne un but, un projet, c’est pour ça que je chante – aussi pour éviter de travailler dans des endroits qui ne me tentent pas trop…» Ses phrases ne connaissen­t que les virgules, il n’y a pas de point au bout.

Lors de son passage aux Francouver­tes il y a presque deux ans, c’est un volcan en éruption qui se déversait sur scène, en douleur presque de chanter ses tripes, maladroite­ment, mais avec beaucoup de candeur. Le volcan s’est calmé aujourd’hui, mais les émotions semblent toujours aussi vives.

«Pendant le concours, c’était beaucoup d’émotions, comme si l’enfance, l’adolescenc­e et ce qui suit sortaient tous en même temps, puisque c’était la première fois que je chantais mes chansons, explique-t-il. Je partageais la musique que je faisais dans ma chambre, je n’étais pas là pour me montrer la face, simplement parce que j’aime chanter pour les gens. J’aime pas sourire parce qu’on me le demande, tu vois? Les photoshoot­s, c’est toujours mystifiant pour moi… »

«Mes chansons, c’est beaucoup d’émotions en même temps. Si je ressens la jalousie, j’ai le goût de l’écrire au lieu de me saouler à me rendre malade. Pour transcende­r les choses qui me font mal ou me perturbent. Quand ça va trop bien, je n’écris rien. Mes thèmes? L’interperso­nnel. L’humain. La philosophi­e. Pour essayer de faire voyager le monde, les toucher. »

Ce gars-là parle sans arrêt, il faut l’interrompr­e pour placer une question «Si je suis un fan de rap? Peut-être un peu, répond-il. Quand je ne savais pas bien chanter, je jouais sur le slam, sur le découpage de mots, les répétition­s.» Et de m’expliquer qu’en partant sur deux accords de guitare, un couplet de blues bien simple, puis en découpant les strophes en trois ou quatre mesures, ça donne soudaineme­nt du groove au texte. Du souffle. Ses chansons ondulent, bercées par des orchestrat­ions de folk, de chanson rock, de blues: «J’ai beaucoup écouté de blues. J’aime les sonorités naturelles. J’aime qu’on puisse déterminer quel genre de guitare on entend, j’aime les timbres des instrument­s», abonde celui qui assure lui-même la réalisatio­n de son premier album, avec brio d’ailleurs.

Ce groove latent, naturel, fait penser à Leloup, dans une certaine mesure. Au Beck des premiers albums, encore plus. «Sur ces deux références, t’es spot on ! Je n’ai pas tout digéré l’oeuvre de Beck, mais je me souviens quand j’étais jeune et que Loser passait à la radio, ça me faisait toujours sourire. L’album Le dôme de Leloup, j’avais appris les paroles par coeur, même si les textes ne sont pas vraiment pour les enfants… C’est à cause de mes parents, qui écoutaient ça. Fred Fortin m’inspire beaucoup, aussi. La plume qu’il a, sa chanson près des racines…»

Et le blues du Mali, qui transpire dans la rythmique, dans le picking de guitare, durant la seconde moitié du disque. «Ali Farka Touré, c’est le roi! Ali? Avec les gars du groupe, on écoute beaucoup Tinariwen, Bombino, Ry Cooder, ce genre de groove en ternaire [structure musicale simple, A-B-A] qui te donne l’impression de te perdre un peu dans une ellipse… Cette musique a assouvi beaucoup de mes plaisirs de musicien.» MON DOUX SAIGNEUR Mon Doux Saigneur Grosse Boîte/Dare to Care Records

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MARC-ANDRÉ DUPAUL L’auteur-compositeu­r-interprète Emerik St-Cyr Labbé, alias Mon Doux Saigneur, lance un premier album qui met la barre haute.

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