Dans les vignobles de la Virginie
Paysages bucoliques, vignobles-boutiques, gastronomie de la ferme-à-la-fourchette... Au centre de la Virginie, le Monticello Wine Trail propose un parcours sans hic.
Au pied des montagnes du Blue Ridge comme ailleurs dans cet État du Sud américain, une petite révolution vitivinicole qui fait le bonheur des oenophiles est en marche. En effet, il y a 40 ans, les
wineries se comptaient sur les doigts de la main. Aujourd’hui, on en dénombre près de 300.
Traversant un « horse and wine country»
aussi boisé que vallonné, la route des vins qu’est le Monticello Wine Trail est d’une rare beauté avec ses verts pâturages peuplés de chevaux et ses bâtiments de ferme pimpants. Courant sur les collines, la vigne raye le panorama au gré des parcelles d’une trentaine d’entreprises vinicoles autour de Charlottesville. Ajoutez à cela un ciel d’azur et trois nuages popcorn, et vous avez là un décor digne d’un vieil épisode de Daniel Boone. Pas étonnant alors que cette aire désignée AVA (American Viticultural Area) connaisse un bel essor touristique! «L’oenotourisme est extrêmement
populaire ici, confirme Kirsty Harmon, la vigneronne
de Blenheim Vineyards. En 2009, année où nous avons ouvert nos portes au public, nous avons accueilli 8000 personnes. L’an dernier, 45 000. Et c’est la même chose pour tous les vignobles des environs. La Virginie a mis du temps à développer sa viticulture, mais depuis 10 ans, ça y est ! »
Qui l’eût cru? Après tout, les premiers colons, légalement tenus, dès 1619, de cultiver 10 plants de vigne chacun, s’y étaient cassé les dents, le scuppernong indigène ne donnant, au mieux, que de la confiture. Un président éclairé
En 1774, Thomas Jefferson avait lui aussi tenté sa chance. À son ami Filippo Mazzei, un
immigrant viticulteur, le futur troisième président des ÉtatsUnis avait donné une terre afin qu’il cultive des cépages importés d’Europe. Mais le vignoble dut être abandonné pour cause de guerre d’Indépendance. (Replanté en 1981, il est aujourd’hui exploité sous le nom de Jefferson Vineyards.) Quant à Jefferson, il remit ça à Monticello, son magnifique domaine situé à proximité, et encore une fois en vain, car des maladies de la vigne ont eu raison de ses ambitions.
Il faudra attendre deux siècles et l’oenologue Gianni Zonin (membre d’une famille ayant créé un véritable empire vinicole en Italie) pour que la viticulture renaisse dans les parages. En 1976, il acheta un terrain, puis embaucha un compatriote, le vigneron Gabriele Rausse, considéré comme le père de la viticulture moderne de l’État, pour créer Barboursville Vineyards.
Mais la Virginie n’étant pas exactement la Vénétie, on se demande bien à quoi tient cet acharnement à vouloir y faire du vin ! M. Rausse, aujourd’hui à la tête de la Gabriele Rausse Winery et directeur des terrains et jardins à Monticello, a sa théorie : « Pauvre en industries, riche en histoire et dotée de beaux paysages, la Virginie était tout simplement propice à l’éclosion d’un univers vitivinicole.»
Pour Kirsty Harmon, le climat capricieux ne pose pas — trop — de problèmes. « Justement, c’est un beau défi, explique celle qui en est à ses dixièmes vendanges chez Blenheim. En plus, ici, ce n’est pas la Californie, ce n’est pas la France, alors il n’y a ni attentes ni règles. Je suis libre de planter de l’alberiño d’Espagne, du rkatsiteli de la Géorgie, bref d’explorer ce que je veux. Mon seul mandat, c’est de faire du bon vin, et j’essaie juste de ne pas me gourer ! »
Les raisins de la colline
Dans la région, on plante surtout, en blanc, du viognier, le cépage phare de l’État, du chardonnay et du petit manseng. En rouge, on cultive principalement du cabernetsauvignon, du cabernet franc, du merlot, du malbec et du petit verdot. Ces cépages bordelais sont souvent assemblés pour créer des Meritage, une appellation américaine qui se veut une riposte à celle de Bordeaux.
« Mais ce qu’on fait de mieux, c’est encore des vins de viognier et de cabernet franc, tandis que ceux de petit manseng gagnent en popularité», estime Brooks Hoover, gérant des vignobles chez Pippin Hill Farm and Vineyards.
Le steel chardonnay est aussi très prisé. «Les habitants de la côte est boivent de moins en moins de chardonnay à la californienne, c’est-à-dire boisé avec une finale de beurre, poursuit M. Hoover. Ils recherchent plutôt un chardonnay vif et fruité, d’où une fermentation en cuve en inox [steel] sans élevage en fût de chêne. »
Le sympathique gérant ajoute que «tout le vin fait en Virginie correspond à la seule production de chardonnay en Californie ». Ce dernier État élaborant 90% du vin du pays, nous voilà fixés quant à l’envergure de la production locale! Nous l’étions d’ailleurs simplement en considérant la taille des parcelles: avec ses 21 acres ou 9 hectares, Pippin Hill Farm and Vineyards est un vignoble-boutique. Comptant 4 hectares, Blenheim Vineyards est un vignoble de poche ! Ni l’un ni l’autre ne faisant exception, voilà pourquoi la Virginie arrive en cinquième position des États comptant le plus d’entreprises vinicoles malgré sa petite production (2 millions de gallons en 2016). Quant à la plus grande des entreprises de la région, c’est la Trump Winery — oui, oui, comme dans «Donald Trump» —, qui compte 1300 acres, dont un vignoble de 207 acres (84 hectares).
Chose certaine, les Virginiens ont soif de leurs vins. «La demande est là, c’est clair, car nous manquons de raisins ! » dit le vigneron Tim Rausse, fils de Gabriele Rausse. C’est sans doute un beau problème, sauf peut-être pour le consommateur, qui pourrait trouver que certaines bouteilles coûtent trop cher. Mais ce serait bien là le seul écueil de ce fabuleux Monticello Wine Trail !
Mais la Virginie n’était pas la Vénétie, on se demande bien à quoi tient cet acharnement à vouloir y faire du vin!
Carolyne Parent était l’invitée de la Virginia Tourism Corporation et du Charlottesville Albemarle Convention & Visitors Bureau.