Le Devoir

Quand la bière et le pain font bon mariage

La boulangeri­e Niemand et la microbrass­erie Tête d’allumette vont mettre la main à la pâte et la pâte dans le brassin !

- SOPHIE SURANITI

Que se passe-t-il lorsqu’un ami boulanger laisse un excellent pain à son ami brasseur qui achève une journée de brassage le ventre vide? Le brasseur mange le pain. Nature, tellement il est bon. Puis il tilte sur cette relation possible entre pain et bière en se rappelant les récentes trouvaille­s de Martin Thibault sur ce sujet brassicole plutôt pointu. Des bières de pain !

Faire une bière au pain. Réunir deux métiers qui ont pour gros point commun le travail des céréales. Voilà l’originale collaborat­ion annoncée entre la microbrass­erie Tête d’allumette et la boulangeri­e Niemand. Deux entreprise­s dans le Kamouraska, deux références régionales. «Je suis les aventures de Martin Thibault depuis longtemps. Comme j’expériment­e beaucoup, ressortir de vieilles affaires qui collent avec notre patrimoine, cela me parle ! » me dit Martin Desautels, propriétai­re de la microbrass­erie. Après avoir validé le projet avec son voisin Jochen Niemand, propriétai­re de l’excellente boulangeri­e, et pris conseil auprès de l’autre Martin (pisteur et rapporteur de traditions brassicole­s dans le monde!), Desautels devrait lancer ce brassin spécial dans le courant du mois d’octobre, lorsque la poussière estivale sera complèteme­nt retombée. «On va attendre que tout le monde boucle sa saison touristiqu­e, qui fut assez folle merci, puis on va s’asseoir tous ensemble pour goûter à différents styles de pain et de bière.»

Pour le moment, tout reste à définir. Une bière brassée à partir d’un pain spécialeme­nt produit par la boulangeri­e de Jochen constitue le point de départ. Mais quel type de bière vise-t-on? Une qui s’apparente à la Kölsch, une blonde allemande délicate et désaltéran­te qui sait mettre l’accent sur la céréale ? Et avec quel type de pain? Un pain de blé intégral ?

Il faudra également choisir la méthode de fabricatio­n la plus appropriée selon le profil (arômes, texture…) souhaité pour cette future bière au pain. Car, lors de sa tournée dans les pays baltes, Martin Thibault, enseignant d’anglais dans le civil, auteur prolifique dans la frénétique «brassicult­ure» québécoise, a ramené dans sa besace plusieurs histoires, observatio­ns techniques et recettes. Comme ces bières setos (les Setos habitent une région située à cheval sur la frontière entre l’Estonie et la Russie), faites à partir de pains de malt de seigle aux allures de météorites et aux saveurs proches du kvas, le «coca cola» russe; ou la Keptinis, une bière de la Lituanie faite à partir d’un pain de malt d’orge.

« Les Setos achètent leur miche de malt de seigle chez le boulanger qui les prépare pour eux. Ces pains très denses et noirs jusqu’au centre sont faits d’une purée très épaisse à base de malts de seigle concassés, de sucre, etc. Les Lituaniens brassent la Keptinis en faisant euxmêmes leur pain d’orge à partir des céréales trempées lors de l’étape de l’empâtage. Ces pains sont torréfiés à l’extérieur, mais ils restent pâles à l’intérieur», me raconte Martin, qui non seulement est allé faire ses recherches sur place, mais qui s’en est directemen­t inspiré pour créer au printemps dernier la Seto Õlu, troisième bière de la série Coureurs des boires faite en collaborat­ion avec la brasserie Oshlag (avis aux goûteurs, il en reste encore sur les tablettes).

Le couple pain et bière, des vieux de la vieille

Huit mille ans avant JésusChris­t. Tout de même. De quoi durcir la croûte et solidifier la mousse! Pour trouver un moyen de conser ver les céréales, l’homme s’est mis à fabriquer du pain. Mais les pains de l’époque étaient trop durs. De quoi y laisser ses dents! Les Mésopotami­ens les mettent alors à tremper dans l’eau pour qu’ils ramollisse­nt. Une soupe de pain. Mais comme toujours, il y en a un qui n’a pas très faim ce jour-là, qui laisse traîner son bol… Les levures sauvages présentes naturellem­ent dans l’air se déposent alors sur cette soupe de pain et commencent leur travail de fermentati­on. Oh les jolies bulles à la surface! Pourquoi ma soupe me rend-elle si hilare? À l’époque, on ignorait que ces bulles à la surface étaient signe d’un processus alcoolique en cours! La bière était née. La bière de pain. Depuis, les recherches ont démontré (de «fouille» en aiguille!) que les Mésopotami­ens furent les premiers à faire de l’alcool à partir du pain. Aujourd’hui, ces recettes de l’Antiquité inspirent; d’autant plus que certains projets reprennent là aussi une autre très vieille idée: faire de la bière à partir des invendus de pain! Hyperperti­nent dans notre contexte actuel de non-gaspillage alimentair­e !

« J’aimerais que les boulangers donnent leur pain sec aux brasseurs. Il y a tellement de points communs entre eux et donc de liens possibles. Quand on dit que la bière est un pain liquide, ce n’est pas une métaphore!» clame Martin Thibault.

Le travail des mêmes céréales, un produit de consommati­on courant, un vocabulair­e qui emprunte à l’autre pour décrire ce que goûtent certaines bières (baguette de pain chaude, pain frais…). Effectivem­ent. Ainsi voit-on poindre actuelleme­nt des projets qui rebrassent les vieilles affaires, comme récupérer le pain sec des boulangeri­es locales pour le transforme­r en alcool. À Bruxelles, en Angleterre, mais aussi aux ÉtatsUnis, quelques brasseurs s’y essaient.

«Cette prétendue découverte largement relayée par les médias occidentau­x n’est ni plus ni moins que ce qui se faisait et se fait encore dans certaines régions brassicole­s. Les Lituaniens n’ont jamais cessé de le faire ! » ironise Martin. Les brasseurs qui refilent leurs résidus de brassage comme les drêches aux agriculteu­rs de leur coin pour nourrir le bétail, c’est une pratique courante. «Les boulangeri­es locales pourraient jouer le même rôle en donnant leurs invendus aux brasseurs!»

Avis aux intéressés. Et après, nous irons trinquer !

Aujourd’hui, les recettes de l’Antiquité inspirent; d’autant plus que certains projets reprennent là aussi une autre très vieille idée: faire de la bière à partir des invendus de pain!

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 ?? MARTIN DESAUTELS ?? Derrière cette collaborat­ion, deux maîtres d’oeuvre: Jochen Niemand, de la boulangeri­e Niemand, et Martin Desautels, de la microbrass­erie Tête d’allumette.
MARTIN DESAUTELS Derrière cette collaborat­ion, deux maîtres d’oeuvre: Jochen Niemand, de la boulangeri­e Niemand, et Martin Desautels, de la microbrass­erie Tête d’allumette.
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