Le bal des absents du TIFF
Certains cinéastes et leurs oeuvres brillent par leur absence dans les grands festivals. On les y attend en amont, avant de comprendre au fil des mois, parfois juste à l’aube des grandes annonces, que non, faut s’y faire, le morceau juteux n’y sera pas.
Il y a autant de déceptions à gérer que de cris de victoire dans ces grosses machines-là. Les directeurs de festivals pourraient vous faire une longue liste des « espérés et attendus» qui leur glissent des mains, in extremis ou pas. Journalistes et public voient plusieurs de leurs prédictions contredites. C’est le jeu.
Dans les rues de Toronto ou entre deux critiques éclair entendues dans la salle de presse, pouce en haut, pouce en bas, plusieurs demandent aux Québécois: qu’est-ce qui arrive avec le film de Xavier? Son The Death and Life of John F. Donovan fait parler de lui autant que les oeuvres phares à la grille horaire.
Le film de Xavier Dolan n’était vraiment pas prêt. Reste pour lui à le fignoler et à le raccourcir avant de le jeter en pâture aux fauves et aux admirateurs quelque part. Celui-ci aurait occupé une place de choix au calendrier du TIFF, où Hochelaga,
terre des âmes de François Girard atterrit finalement ce samedi soir, case idéale.
Poésie crépusculaire
En bourdonnement constant aussi, les conversations autour du Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, avec sortie début octobre. Ce film-là également, on avait d’abord caressé le rêve de le voir atterrir à Toronto. Mais, pensez-vous ?
Bien des grosses productions
oscarisables trouvent leurs rampes de lancement aux rendez-vous de Telluride et au TIFF, parfois en amont à Cannes (ou à Venise bien sûr, mieux collé aux sorties automnales).
Mais parfois les plus gros mammouths font leur chemin seuls. Le buzz est intrinsèque à leur projet, sur curiosité attisée de mois en mois.
Ces mégaproductions-là constituent un festival à elles toutes seules, avec leurs bandes-annonces scrutées à la loupe, leurs fragments de films jetés comme des os aux
fans à intervalles calculés. Ces amuse-gueules laissent les admirateurs sur leur faim. Les voici juste assez nourris pour saliver jusqu’au jour J de la ruée en salles. Ils s’y posteront longtemps d’avance, afin de s’asseoir les premiers à la séance inaugurale du cinéma près de chez eux.
Depuis le temps que les cinéphiles s’enfilent et se renfilent ce premier Blade Runner sur un support ou l’autre, ressortant le cas échéant un DVD, pour s’offrir le voyage en uchronie…
Plusieurs d’entre eux connaissent par coeur le film de Ridley Scott adapté en 1982 du roman de Philip K. Dick, surtout la version définitive (director’s cut) de 1992, pur chefd’oeuvre de poésie futuriste crépusculaire.
De plus jeunes seront tentés de le découvrir, avant de s’enfiler sa suite située 32 ans plus tard. On les y encourage de tout coeur. Conserver sa grâce gothique fraîche en mémoire favorise les va-et-vient temporels. D’autant plus que l’action du film de Scott, conjuguée au futur antérieur, se situe en 2019, donc presque aujourd’hui.
Non, notre compatriote Denis Villeneuve n’a pas à craindre la concurrence des autres blockbusters de la rentrée. Son grand rival, qui lui fera la vie dure, c’est le film initial. D’où la charge énorme sur les épaules du cinéaste québécois. Flegmatique de nature, mais quand même…. On comprend son trac.
Fables sur l’humanité
Il va ainsi des chefs-d’oeuvre, toutes disciplines artistiques confondues. Leurs créateurs ne peuvent expliquer vraiment comment ils sont parvenus à l’accord parfait. Ces oeuvres maîtresses, pardelà leur maîtrise technique, portent souvent un message qui les transcende: fables sur l’humanité, ses errances, son mal-être.
La science-fiction à son apogée — 2001, odyssée de l’espace de Stanley Kubrick l’avait glorieusement prouvé — porte en elle par ses projections des questionnements fondamentaux sur la portée des actions humaines. Les découvertes technologiques ne font qu’exacerber les dérives des hommes, entre espoir d’un monde meilleur et mur qu’on s’apprête à frapper. D’où le succès de La servante écarlate d’Atwood à la télé et en librairie, les relectures de 1984 d’Orwell et de
Fahrenheit 451 de Bradbury. Du livre de Philip K. Dick aussi. Ces auteurs semblent avoir vu l’avenir à nos portes dans leur boule de cristal. Ils méritent bien de se propulser de nouveau dans les esprits.
En adaptant Blade Runner avec une finesse, une élégance, un bon goût supérieur, Ridley Scott avait propulsé le film dans ce champ d’immortelles.
Car comment se lasser de la beauté trash des androïdes réplicants, de l’atmosphère exotique d’un Chinatown aux caractères de néon, des insolites automates amis d’un solitaire, de la lumière oblique de la pénombre et de la nuit, servis par cette caméra sublime ?
L’avenir selon Scott n’était pas complètement décollé du XIXe siècle, sous décors décrépits d’une ère ancienne en survivance. Un cinéaste britannique ne pouvait sans doute que projeter sur Los Angeles les traces du passé de la Vieille Europe. Ce qui l’entraînait hors du temps.
Dur à battre et périlleux défi…
Denis Villeneuve, le Montréalais issu d’ailleurs, jurait la semaine dernière que son
Blade Runner 2049 sera différent du sien, tout en s’y référant. Il doit prévenir, expliquer, au besoin parer les coups.
Les extraits en ligne qu’on nous jette en pâture démontrent d’évidents liens de parenté avec le premier du titre, mais sur un climat moins lyrique. Ses androïdes à lui, conçus au XXIe siècle, semblent avoir coupé les ponts avec le romantisme des temps éloignés. Mais patience! Dans un peu moins d’un mois…
Voilà qu’en ce grand festival de cinéma qu’est le TIFF, je vous entretiens des absents qui flottent sur sa bulle, comme des esprits malins narguant les vivants. Se posant partout entre le Bell Lightbox et les écrans du cinéma Scotiabank.
Et si le fin du fin consistait parfois à ne pas marcher sur les tapis rouges? Non, les absents n’ont pas toujours tort. Ils font tellement causer…
Parfois, les plus gros mammouths font leur chemin tout seuls. Le buzz est intrinsèque à leur projet.