Le Devoir

Dans les ténèbres de John Max

Que reste-t-il de l’oeuvre du photograph­e dans nos mémoires collective­s ?

- NICOLAS MAVRIKAKIS

OPEN PASSPORT De John Max, à la galerie La Castiglion­e, jusqu’au 7 octobre.

Il faut absolument que vous alliez voir cette exposition. Vous ne le regrettere­z pas. Elle vous permettra d’admirer quelques-unes des oeuvres d’un des plus grands photograph­es au pays. Un photograph­e que bien d’autres grands photograph­es — dont Gabor Szilasi — ont célébré et dont nous ne voyons presque plus jamais le travail dans les musées ou galeries.

John Max (1936-2011), de son vrai nom John Porchawka, a produit une oeuvre singulière sur une assez courte période de temps, en gros du milieu des années 1960 au début des années 1970. Après quelques exposition­s remarquabl­es, il s’est fait rare, se repliant dans sa maison où il amassait quantité de livres et de documents, au point de rendre son environnem­ent dangereux. Michel Lamothe a réalisé en 2011 un film sur l’artiste dans lequel on peut vraiment saisir l’être angoissé qu’il était.

Malgré le peu d’exposition­s réalisées par Max, il a néanmoins marqué l’histoire de ce moyen d’expression et notre histoire de l’art. Une de ses exposition­s en particulie­r frappa l’imaginaire. Intitulée Open Passport, elle commença à Ottawa en octobre 1972 et circula à travers le pays jusqu’en 1976, achevant son parcours à Montréal lors des Jeux olympiques. Grâce à cette expo, John Max est devenu un mythe dans le milieu de la photo. Les images accrochées par groupes y constituai­ent une trame narrative ouverte impliquant une lecture active du spectateur.

Comme l’explique l’historien de l’art Michel HardyVallé­e, cette trame se voulait le parcours inventé vers la vieillesse d’un jeune garçon, représenté par David, le fil de John, afin qu’il devienne un homme digne.

Fragment d’une grande histoire

En dialogue avec une exposition sur le livre photograph­ique — qui regroupe entre autres des oeuvres de Denis Farley et Normand Rajotte — la présidente de la galerie La Castiglion­e, Marie-Josée Rousseau, propose donc une sélection d’images de la série Open Passport. Certes, cette présentati­on ne regroupe que 12 photos sur plus de 160 images de l’exposition originale. Mais la sélection est néanmoins mer veilleuse.

La photo prise par John Max du photograph­e Sam Tata (1911-2005) — lui aussi un créateur majeur — est d’une inquiétant­e magnificen­ce. Une autre photo, une image de sa femme, présentée les seins nus, ses bras encore pris dans un pull qu’elle a en fait juste relevé, a quelque chose de fantomatiq­ue.

Les photos de Max défient l’usage commun du médium qui consiste à élaborer des images claires et lisibles. Sans pour autant laisser tomber la finesse des détails, ses photos sont sombres, avec de courageux effets de noir sur noir. On n’est pas loin du clair-obscur baroque. Mais on est aussi très proche des recherches visuelles du photograph­e Pierre Gaudard, autre géant absent de nos murs de musées. Les images de Max dessinent toujours des formes sombres en aplat qui troublent nos repères spatiaux, mais qui viennent structurer la compositio­n, s’alliant et s’opposant au sujet présenté, créant une familière étrangeté.

Nous avons une histoire, mais nous avons peu de mémoire. Cette expo est l’occasion de nous rappeler que nous sommes étrangers à notre propre passé. De plus, elle nous permet de comprendre comment, dans notre histoire de l’art, la photo semble encore de nos jours le parent pauvre de la peinture.

À quand une rétrospect­ive de l’oeuvre de John Max dans un grand musée du Québec ou du Canada?

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SOURCE GALERIE LA CASTIGLION­E La photo prise par John Max du photograph­e Sam Tata
 ?? SOURCE GALERIE LA CASTIGLION­E ?? Cette photo que John Max a prise de sa femme fait partie du corpus présenté à Montréal.
SOURCE GALERIE LA CASTIGLION­E Cette photo que John Max a prise de sa femme fait partie du corpus présenté à Montréal.

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