Ça fait peur
Ce premier volet d’un diptyque fait honneur au terrifiant roman-fleuve de Stephen King
ÇA (V.F. IT) 1/2 Drame d’horreur d’Andy Muschietti. Avec Jaeden Lieberher, Sophia Lillis, Jeremy Ray Taylor, Bill Skarsgard, Finn Wolfhard, Wyatt Oleff, Chosen Jacobs, Jack Dylan Grazer, Nicholas Hamilton. États-Unis, 2017, 131 minutes.
Le roman Ça occupe une place à part dans l’oeuvre de Stephen King. D’une part, il s’agit de son ouvrage le plus costaud, avec plus de 1100 pages aussi denses que terrifiantes. D’autre part, Ça constitue une sorte de « best of » de la première partie de la carrière du maître de l’horreur. Après des années de développement, de rumeurs et de désistements, on craignait que cette adaptation, premier volet d’un diptyque, faillisse à la tâche. Excellente nouvelle : Ça (version française de It), le film, compte parmi les très bonnes adaptations de romans de King.
L’intrigue se déroule dans la petite ville américaine de Derry, dans le Maine, où un groupe de gamins marginalisés entreprend de traquer et détruire une entité maléfique qui hante les égouts. Cela, afin de ne pas devenir eux-mêmes le festin du monstre.
On l’évoquait d’office, on retrouve tout un pan de l’oeuvre romanesque de King dans Ça : l’intimidation scolaire de Carrie et de Christine, la présence surnaturelle qui détruit une communauté de l’intérieur à la Salem, l’enfance menacée par des forces obscures façon The Shining et, surtout, un groupe de gamins laissés-pour-compte qui affronte ses peurs et part à l’aventure à la Compte sur moi (Stand By Me, d’après la nouvelle Le corps). L’adaptation de Ça parvient à évoquer tout cela. Le film préserve en outre la charge horrifique, parfois troublante, du roman.
Or, si l’on est pris d’effroi de la sorte, c’est beaucoup grâce aux vedettes adolescentes et préadolescentes, qui incarnent avec nuance et conviction des personnages bien écrits, complexes. Ils sont formidables de naturel et de complicité. On se soucie d’eux, de leur devenir.
Bref, on a peur pour eux.
Cauchemar «coulrophobe»
Remarqué avec son premier long métrage Mama, là encore avec une entité qui rôde autour d’enfants, le réalisateur Andy Muschietti recourt volontiers aux chocs soudains (« jumpscares»). Souvent le lot de cinéastes incapables de générer du suspense, le procédé fonctionne ici parfaitement, d’autant que Muschietti s’avère tout aussi habile à dilater la tension.
Une tension qui augmente à chaque apparition de l’antagoniste, un clown démoniaque tout droit sorti d’un cauchemar «coulrophobe». C’est là l’incarnation de prédilection de «Ça», entité polymorphe qui terrorise les enfants dont elle se délecte ensuite, la peur les ayant rendus plus savoureux encore. Dans ce rôle clé, Bill Skarsgard (série Hemlock Grove) exsude un mélange d’amusement déjanté et de sadisme latent qui fait, si l’on peut dire, mer veille.
Idem pour la musique de Benjamin Wallfisch, qui, d’entrée de jeu, fait frissonner d’anticipation avec une chorale d’enfants et quelques notes de piano mélancoliques.
Tout n’est pas parfait, tant s’en faut. Ainsi, les quarante premières minutes accusent une tendance à la redite, tant à l’écriture qu’à la réalisation, alors que chaque enfant subit son baptême de frayeur face au clown grimaçant. De même, lors du dénouement, satisfaisant dans l’ensemble, d’importantes questions sont laissées en suspens. C’est le corollaire d’un diptyque où certains aspects et interrogations liés au premier volet sont revisités et résolus, a posteriori, par le truchement du second (voir Kill Bill I et II de Quentin Tarantino).
Deux écoles d’adaptation
De la kyrielle d’adaptations de romans de Stephen King, quelques-unes ont accédé au statut de chef-d’oeuvre, de classique ou de film culte. Il y a ces films qui sont «signés» par leurs réalisateurs, comme Shining, de Stanley Kubrick, et Carrie, de Brian De Palma, et qui prennent de grandes libertés par rapport aux romans qui les ont inspirés afin de mieux déployer leurs ambitions cinématographiques. Il y a aussi ceux qui optent à l’inverse pour la fidélité, et qui transposent presque amoureusement les mots en images, comme Compte sur moi, de Rob Reiner, et À l’ombre de Shawshank (The Shawshank Redemption), de Frank Darabont.
Ça, qui forcément coupe deci de-là, s’inscrit dans cette dernière catégorie. Sur cette base, le film livre la marchandise, et de belle façon (excellentes direction photo de Chung-hoon Chung et conception visuelle de Claude Paré).
Matière à réflexion
Qui plus est, il y a de la substance sous la surface. Car voilà des enfants qui s’unissent, conscients que de leur solidarité dépend leur victoire sur le monstre. Autour d’eux, des adultes aveugles, manipulateurs, absents ou prédateurs vaquent à leurs activités dans une municipalité rongée de l’intérieur. Entre ensorcellement et déni complaisant, Derry sacrifie sa progéniture au mal sans nom tapi dans ses bas-fonds.
La ville fictive comme métaphore d’une Amérique en proie à ses propres turpitudes était déjà présente dans le roman, à l’instar de cette idée que les véritables monstres, pour les enfants, sont souvent les adultes. Il n’en reste pas moins que les parallèles contemporains sont patents.
Le second volet de Ça entrera en production en janvier. Comme dans le roman, les petits héros devenus adultes revisiteront alors le théâtre de leurs traumatismes d’antan.
Le temps pour les spectateurs de se remettre des leurs.