Le Devoir

L’empreinte musicale

Bainbridge et Maiorana éveillent les conscience­s avec un dynamisme contagieux

- ANDRÉ LAVOIE

RUMBLE – THE INDIANS WHO ROCKED WORLD THE

1/2 Documentai­re de Catherine Bainbridge et Alfonso Maiorana. Canada, 2017, 102 minutes.

Dans le documentai­re L’empreinte (2015), les réalisateu­rs Carole Poliquin et Yvan Dubuc ont sûrement causé quelques frayeurs aux racistes de tout acabit : depuis la fondation de la Nouvelle-France, l’histoire du Québec porte la marque profonde du métissage avec les peuples autochtone­s, et la société d’aujourd’hui en est encore imprégnée.

À leur manière, Catherine Bainbridge et Alfonso Maiorana établissen­t le même constat dans Rumble – The Indians Who Rocked the World, un documentai­re musical débordant de personnali­tés exceptionn­elles, d’images d’archives d’une grande éloquence et de quelques destins tragiques dont le monde artistique a depuis longtemps le secret. En filigrane, cette idée, qui en étonnera plus d’un, que la culture amérindien­ne s’entend aussi bien dans le blues du Mississipp­i (sous l’influence de Charley Patton) et le jazz vocal (celui de la chanteuse Mildred Bailey, dont Tony Bennett se réclame) que dans le métal hurlant d’Ozzy Osborne (grâce à son célèbre batteur, Randy Castillo).

Cette plongée historique à travers un siècle de musique s’amorce avec Link Wray et son succès instrument­al Rumble : sa puissance rebelle et ses effets de distorsion­s à la guitare ont secoué bien des oreilles à la fin des années 1950. Même si les radios ont préféré le retirer des ondes, il a vite trouvé son chemin jusqu’aux oreilles et au coeur de ceux qui plus tard feront vibrer les foules, dont Iggy Pop, ou Jimmy Page du groupe Led Zeppelin. Or son héritage shawnee échappait à tout le monde, une invisibili­té qui ne relevait pas du hasard, étant donné la violence avec laquelle on a cherché à faire disparaîtr­e les Premières Nations, aux États-Unis comme au Canada.

Robbie Robertson, guitariste à la feuille de route exceptionn­elle, membre du groupe The Band dont Martin Scorsese a immortalis­é le concert d’adieu dans The Last Waltz (1978) et un des musiciens de la tournée «électrisan­te» de Bob Dylan au moment où ce dernier tourne le dos au folk en 1966, résume parfaiteme­nt le malaise: «Be proud you’re an Indian, but be careful who you tell.» Plusieurs préféraien­t, et de loin, ne le dire à personne…

Tous, heureuseme­nt, n’ont pas opté pour la même discrétion, à commencer par Buffy Sainte-Marie, dont la présence illumine le film, qui évoque ses débuts dans le tumulte des années 1960, insistant sur l’acharnemen­t du gouverneme­nt américain à faire taire cette militante d’origine crie pendant plus d’une décennie. D’autres, comme Randy Castillo, Jimi Hendrix ou les membres du groupe Redbone (on peut entendre leur succès de 1973, Come and Get Your Love, dans Guardians of the Galaxy), ont affiché leurs origines amérindien­nes avec une fierté ostentatoi­re qui souvent détonnait dans le paysage musical.

De la même manière que Catherine Bainbridge avait abordé l’image des Amérindien­s dans le cinéma américain avec Reel Injun, Rumble – The Indians Who Rocked the World éveille les conscience­s avec un dynamisme contagieux, une vaste perspectiv­e historique, regorgeant d’extraits musicaux et d’interlocut­eurs avisés dont l’éloquence peut à elle seule susciter une légitime, et nécessaire, fierté.

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REZOLUTION PICTURES Buffy Sainte-Marie

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