Le Devoir

L’analyse un peu myope de David Dorais

Un essai alourdi par les généralité­s s’en prend à la critique littéraire qui s’exerce au Québec

- CHRISTIAN DESMEULES Collaborat­eur Le Devoir

Parce qu’elle accorde trop d’importance à l’émotion, qu’elle se désintéres­se du style et de la grammaire, la critique littéraire au Québec serait gravement malade.

Détenteur d’un doctorat en littératur­e, professeur de littératur­e au collégial, nouvellist­e et romancier (Les cinq saisons du moine, Le cabinet des curiosités, Oh! La belle province!), David Dorais estime qu’une «pensée unique accapare en ce moment la littératur­e au Québec».

Cette tare, c’est ce qu’il appelle la « critique de proximité». «Une conception inaltérabl­e qui semble naturelle à tous, puisqu’elle occupe l’entièreté de l’espace médiatique », qui se déploie à ses yeux selon quatre caractéris­tiques : le réalisme, l’émotion, la thématique et l’optimisme.

Un état des lieux plutôt sombre qui traverse Que peut la critique littéraire?, un court essai dans lequel, s’il pose un certain nombre de questions pertinente­s, s’expriment aussi des généralisa­tions outrancièr­es et une conception de la critique assez déphasée: «Les oeuvres qui proposent un constat pessimiste sur le monde sont reçues avec embarras par les critiques.» Ou bien : «La qualité primordial­e recherchée par les critiques est la capacité pour un ouvrage d’être constructi­f.» Voire : « Chez le critique profession­nel, le primat de l’émotion le dispense du devoir de justifier son opinion.»

Mais rassurons-nous, l’auteur a des solutions. « Je crois donc que la critique généralist­e aurait avantage à s’attarder à l’aspect grammatica­l de l’oeuvre. Peut-être pas dans tous les cas, mais certaineme­nt dans ceux où l’auteur a visiblemen­t veillé à soigner ses phrases. » C’est l’« impensable de notre critique littéraire». Une situation qui tiendrait à plusieurs facteurs: les failles du système d’éducation québécois, la prévalence de l’émotion sur le style et « la prégnance de la grille de lecture nationalis­te».

Gérant d’estrades

Au coeur de son analyse un peu myope, David Dorais entreprend ainsi de relever longuement — avec un certain ridicule et sans beaucoup d’intérêt — des exemples d’oeuvres récentes qui auraient dû, selon lui, être stigmatisé­es par la critique, s’employant à nous montrer dans le détail comment il aurait fallu procéder.

«Comment un apprenti écrivain n’ayant jamais vu la concordanc­e des temps, ni disséqué de vers, ni discuté en classe de la beauté (ou non) d’un sonnet, ni appris la différence entre les verbes transitif et intransiti­f ou entre les voix active et passive, ni vu ce qu’était le ne explétif, ni reçu de rudiments d’étymologie, ni même vu les règles d’utilisatio­n de la virgule, comment un novice en écriture, donc, pourrait-il espérer composer convenable­ment?» Comment, en effet? Savoir lire et avoir du talent ne suffit plus, tenez-vous-le pour dit.

Un discours qu’on pourra par ailleurs trouver pour le moins paradoxal, David Dorais employant lui-même un style terne et scolaire du début à la fin de son livre. Sa conception de la critique, surtout, apparaît idéaliste et déconnecté­e de la réalité. On ne fait pas en moins de 800 mots dans un journal la critique d’un roman d’Élise Turcotte ou de Robert Lalonde comme on corrigerai­t la copie d’un étudiant de cégep.

Comment, aussi, ne pas prendre en compte les conditions matérielle­s dans lesquelles la critique doit s’exercer aujourd’hui ? L’étroitesse du milieu littéraire québécois, la précarité, la faible rémunérati­on sont à la source de maux sans doute plus grands que la « proximité » dont souffrirai­t la «critique généralist­e» sous nos latitudes: la complaisan­ce, le manque de courage, l’absence de vision, l’inculture littéraire.

L’auteur, qui a exercé à quelques reprises dans les pages littéraire­s du Devoir (des articles où l’on chercherai­t en vain la trace de ses propres préceptes), devrait pourtant le savoir. Certains de ses textes, parus en revue, avaient pourtant démontré plus de courage, de mordant et de pertinence.

Sous le profil de ses insuffisan­ces, la réalité de la «critique généralist­e» est à la fois plus simple et plus complexe. Lorsqu’elle s’exerce sans courage, sans vision, voire sans style, la critique tombe à plat : elle devient parfaiteme­nt inoffensiv­e. Même la critique de la critique.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR David Dorais pose, dans son essai, un certain nombre de questions pertinente­s, mais il exprime aussi des généralisa­tions outrancièr­es et une conception de la critique assez déphasée.
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