Le Devoir

L’utopie comme étincelle d’espoir

Pour Jacques Pelletier, la hantise identitair­e a dénaturé le concept de libération nationale

- MICHEL LAPIERRE Collaborat­eur Le Devoir

Un intense pessimisme apparaît dans L’université. Fin de partie et autres écrits à contre-courant de Jacques Pelletier. Le recueil évoque «un univers parvenu au bout de sa course, désormais engagé dans une spirale profondéme­nt régressive qui le précipite vers une fin inéluctabl­e que seul un sursaut improbable permettrai­t peut-être d’éviter». Pelletier croit que, de la revue Parti pris au Printemps érable, notre utopisme permet une étincelle d’espoir.

Par l’allusion à Fin de partie, drame de Samuel Beckett créé en 1957 et exploitant le thème de la déchéance, le premier texte blâme la vision «marchande et utilitaris­te » qui, au détriment d’une vie intellectu­elle orientée vers le progrès social, tue aujourd’hui l’université à travers le monde, notamment l’UQAM, où l’essayiste a longtemps enseigné la littératur­e. Préfacé par Simon Tremblay-Pepin, héritier de la pensée critique de Pelletier, le livre prévoit, encore là, un « requiem » à moins d’un douteux « sursaut ».

En marge de la dégénéresc­ence d’un enseigneme­nt supérieur autrefois humaniste et progressis­te, l’auteur déplore que la «hantise identitair­e», chère à l’opinion conservatr­ice, ait dénaturé, au Québec, le concept de libération nationale, historique­ment issu des idées avancées. Partisan de Québec solidaire, il voit comme les fossoyeurs du Parti québécois son chef, JeanFranço­is Lisée, et le compagnon de route de cette formation, jadis de gauche, le prédicateu­r très à droite Mathieu Bock-Côté.

Au sujet de Bock-Côté, chroniqueu­r au Journal de Montréal, Pelletier s’adonne à une satire efficace bien méritée. On reconnaît immédiatem­ent le personnage visé dans ce portrait plus vrai que nature : «Intellectu­el de parade, sorte de singe savant, clone québécois d’un Alain Finkielkra­ut.» Quant à Lisée, le politicien révèle souvent, selon lui, son visage réel de stratège à quatre sous et de nationalis­te identitair­e, pour ne pas dire ethnique, sous le masque du soi-disant indépendan­tiste d’une «gauche efficace».

N’a-t-il pas, comme le rappelle Pelletier, agité «le chiffon du burkini » et affirmé, «sans rire, que le niqab et la burka pouvaient servir de dissimulat­eurs de mitraillet­tes»? Son nationalis­me identitair­e suppose, explique si bien l’essayiste, « une réduction de l’autre à soi » en l’intégrant vite à la culture dominante au lieu d’attendre une transforma­tion lente et complexe de cet autre dans une société qui deviendrai­t nouvelle pour tous.

La transforma­tion qui s’annonce globalisan­te s’inscrirait, on peut le présumer, dans «la longue chaîne des projets visant l’émancipati­on du peuple québécois », où Pelletier place le soulèvemen­t des patriotes en 1837-1838 et la Révolution tranquille, deux charnières riches de cassures et d’inattendus. Contre la frilosité conservatr­ice, une telle évolution n’interdirai­t pas l’étincelle salvatrice.

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Au sujet de Mathieu Bock-Côté, chroniqueu­r au Journal de Montréal et prédicateu­r très à droite, Jacques Pelletier s’adonne à une satire efficace, allant jusqu’à le qualifier d’«intellectu­el de parade».
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Au sujet de Mathieu Bock-Côté, chroniqueu­r au Journal de Montréal et prédicateu­r très à droite, Jacques Pelletier s’adonne à une satire efficace, allant jusqu’à le qualifier d’«intellectu­el de parade».

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