L’utopie comme étincelle d’espoir
Pour Jacques Pelletier, la hantise identitaire a dénaturé le concept de libération nationale
Un intense pessimisme apparaît dans L’université. Fin de partie et autres écrits à contre-courant de Jacques Pelletier. Le recueil évoque «un univers parvenu au bout de sa course, désormais engagé dans une spirale profondément régressive qui le précipite vers une fin inéluctable que seul un sursaut improbable permettrait peut-être d’éviter». Pelletier croit que, de la revue Parti pris au Printemps érable, notre utopisme permet une étincelle d’espoir.
Par l’allusion à Fin de partie, drame de Samuel Beckett créé en 1957 et exploitant le thème de la déchéance, le premier texte blâme la vision «marchande et utilitariste » qui, au détriment d’une vie intellectuelle orientée vers le progrès social, tue aujourd’hui l’université à travers le monde, notamment l’UQAM, où l’essayiste a longtemps enseigné la littérature. Préfacé par Simon Tremblay-Pepin, héritier de la pensée critique de Pelletier, le livre prévoit, encore là, un « requiem » à moins d’un douteux « sursaut ».
En marge de la dégénérescence d’un enseignement supérieur autrefois humaniste et progressiste, l’auteur déplore que la «hantise identitaire», chère à l’opinion conservatrice, ait dénaturé, au Québec, le concept de libération nationale, historiquement issu des idées avancées. Partisan de Québec solidaire, il voit comme les fossoyeurs du Parti québécois son chef, JeanFrançois Lisée, et le compagnon de route de cette formation, jadis de gauche, le prédicateur très à droite Mathieu Bock-Côté.
Au sujet de Bock-Côté, chroniqueur au Journal de Montréal, Pelletier s’adonne à une satire efficace bien méritée. On reconnaît immédiatement le personnage visé dans ce portrait plus vrai que nature : «Intellectuel de parade, sorte de singe savant, clone québécois d’un Alain Finkielkraut.» Quant à Lisée, le politicien révèle souvent, selon lui, son visage réel de stratège à quatre sous et de nationaliste identitaire, pour ne pas dire ethnique, sous le masque du soi-disant indépendantiste d’une «gauche efficace».
N’a-t-il pas, comme le rappelle Pelletier, agité «le chiffon du burkini » et affirmé, «sans rire, que le niqab et la burka pouvaient servir de dissimulateurs de mitraillettes»? Son nationalisme identitaire suppose, explique si bien l’essayiste, « une réduction de l’autre à soi » en l’intégrant vite à la culture dominante au lieu d’attendre une transformation lente et complexe de cet autre dans une société qui deviendrait nouvelle pour tous.
La transformation qui s’annonce globalisante s’inscrirait, on peut le présumer, dans «la longue chaîne des projets visant l’émancipation du peuple québécois », où Pelletier place le soulèvement des patriotes en 1837-1838 et la Révolution tranquille, deux charnières riches de cassures et d’inattendus. Contre la frilosité conservatrice, une telle évolution n’interdirait pas l’étincelle salvatrice.