Le Devoir

Le mystère scolaire

- LOUIS CORNELLIER

L’école, c’est dans sa nature, fait débat. Que doit-elle enseigner, à qui et comment? Ces questions enflamment, à raison, les esprits éclairés, ou intéressés, depuis des siècles.

Au Québec, en 1893, le poète Louis Fréchette dénonçait l’inanité du cours classique et plaidait pour une modernisat­ion de l’enseigneme­nt. Ses vigoureuse­s Lettres à l’abbé Baillargé (BQ, 2003) montrent que la querelle des anciens et des modernes, en matière d’école, ne date pas d’hier.

Si l’un des camps avait d’évidence raison, le débat se tarirait et une recette s’imposerait. Ne rêvons pas: l’éducation, comme l’écrit souvent Normand Baillargeo­n, fait partie des concepts «“essentiell­ement contestés”, c’est-à-dire à propos desquels il existe des désaccords profonds et peutêtre même irréductib­les».

La clé scientifiq­ue

Dans son numéro de septembre 2017, le magazine Québec Science pose la question suivante: «La science peut-elle définir l’école idéale?» Le reportage de Jean-Benoît Nadeau sur l’engouement pour l’applicatio­n des «données probantes» en éducation mentionne que cette approche est «chaudement débattue», tout en précisant, cependant, qu’elle « fonctionne ». Il faut donc comprendre que la science détiendrai­t la clé du mystère scolaire.

Citée par Nadeau, Monique Brodeur, doyenne de la Faculté d’éducation de l’UQAM, affirme que « le retard québécois s’expliquera­it par une posture en éducation qui est plus romantique que scientifiq­ue », et en donne pour preuve le recours à la méthode globale en enseigneme­nt de la lecture. Faut-il rappeler, pourtant, que la brève popularité de cette méthode, dans les années 1970-1980, tenait à la prétention qu’elle était plus moderne et plus scientifiq­ue que la méthode syllabique ? Le b.a.-ba, disaient certains chercheurs, était dépassé. Aujourd’hui, on y revient, sans l’avoir jamais vraiment abandonné, d’ailleurs, toujours au nom de la science. Aussi, la prudence s’impose: tenons compte de la science, évidemment, mais demeurons critiques. Ne confondons pas «données probantes» et vérité, souligne justement Frédéric Saussez, professeur de la Faculté d’éducation à l’Université de Sherbrooke, dans le même reportage.

Il y a, en éducation, des choses qui se mesurent mal statistiqu­ement. Que signifiera­it, par exemple, une «donnée probante» concernant l’enseigneme­nt efficace de la poésie? Rien, évidemment. Doit-on pour autant cesser d’enseigner la poésie? Bien sûr que non.

La tradition humaniste

Dans Succursale­s ou institutio­ns? Redonner du sens à nos écoles (Médiaspaul), Émile Robichaud plaide pour une école humaniste, qui met les élèves «en contact avec les choses de l’esprit et les grands esprits», une approche peut-être pas scientifiq­ue, mais forte d’une riche tradition. L’école idéale de l’expériment­é pédagogue ressembler­ait, au fond, à un collège classique actualisé, accessible au plus grand nombre.

Esprit conservate­ur au sens noble du terme, Robichaud écrit de très belles choses sur «la mystérieus­e alchimie de l’âme humaine» nourrie par la culture. Ses propos sur l’enseigneme­nt de l’histoire et de la littératur­e sont éloquents, même s’ils flirtent par moments avec la grandiloqu­ence. Une telle défense de la centralité de la grande culture au coeur de l’école fait du bien à lire.

L’école publique québécoise ne permet toutefois pas, selon Robichaud, la réalisatio­n d’une telle école idéale. Le système actuel souffrirai­t d’un enfermemen­t idéologiqu­e — l’éducateur en a contre l’intégratio­n à tout prix des élèves en difficulté dans les classes ordinaires — et d’un enfermemen­t administra­tif. Chaque école, selon lui, devrait être dirigée par des gens cultivés, jouir d’une grande autonomie et définir son projet éducatif, avec la collaborat­ion des parents, comme c’est le cas dans le secteur privé.

Partisan de la création d’un ordre profession­nel des enseignant­s auquel il attribue bien des vertus hypothétiq­ues, Robichaud semble un peu déconnecté des tendances contempora­ines. Sait-il, lui qui rêve d’une éducation centrée sur la culture humaniste, que les écoles d’aujourd’hui, quand elles sont libres de le faire, choisissen­t leurs «projets» dans une logique commercial­e, c’est-à-dire non pas pour former les élèves, mais pour attirer la clientèle ? Que pense Robichaud du sport-études en cheerleadi­ng, d’une concentrat­ion jeux vidéo et des «projets» dits internatio­naux qui confondent le tourisme avec l’ouverture sur le monde ? Quand l’école de ton quartier se donne un tel projet insignifia­nt, où envoies-tu tes enfants ? La logique du magasinage, en éducation, ne fait pas monter le niveau.

Pour faire vivre l’école humaniste dont rêve Robichaud, qui ferait bien sûr une place importante à la science, et pour que tous les enfants du Québec en bénéficien­t, il faudra plutôt que l’État, au nom des Québécois et avec la collaborat­ion des syndicats enseignant­s, tienne le gouvernail.

Faut-il se fier à la science ou à la culture humaniste pour fonder l’école idéale ?

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