Le Devoir

Le virage vert

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Les débats sur le cégep anglais ou l’affichage commercial ont monopolisé l’espace médiatique au cours du congrès péquiste de la fin de semaine dernière, mais il y a fort à parier que l’environnem­ent occupera beaucoup plus de place que la langue dans la plateforme électorale du PQ.

Signe des temps, la première propositio­n qui a été adoptée en assemblée plénière ne portait pas sur la souveraine­té ou le référendum, mais plutôt sur la lutte contre les changement­s climatique­s, qui a été placée «au sommet des priorités de l’État». Le premier ministre lui-même se verrait confier la responsabi­lité du développem­ent durable.

Le premier budget d’un gouverneme­nt péquiste sera celui du «virage vert», a promis Jean-François Lisée dans son interminab­le discours d’ouverture. La prochaine Baie James sera dans la rénovation verte de nos logements, le passage à la géothermie dans les écoles et les hôpitaux, l’électrific­ation des transports… Il a également évoqué un banc d’essai pour un monorail électrique qui relierait à terme Montréal, Québec et les autres grands centres urbains du Québec.

Malgré l’intérêt que peuvent présenter ces projets, ils relèvent un peu de la futurologi­e pour la plupart des gens, qui voient mal comment cela répond à leurs problèmes immédiats. Face à un phénomène planétaire, reprocher au gouverneme­nt Couillard d’être en retard sur son objectif de réduction d’émissions de GES en 2020 risque d’avoir un effet tout aussi limité sur l’électorat.

Dans l’esprit de plusieurs, le thème de l’environnem­ent évoque plutôt la pollution ou les dommages que pourrait causer l’exploitati­on des hydrocarbu­res, qui ont trouvé une illustrati­on très concrète dans le dossier du pétrole de schiste de l’île d’Anticosti et le projet de pipeline Énergie Est.

Au PQ, on sait très bien que les actions pèsent plus que les mots ou les plateforme­s électorale­s. Malgré une déterminat­ion sans doute sincère d’empêcher toute exploitati­on à Anticosti, il sera difficile de faire oublier que c’est le gouverneme­nt Marois qui avait autorisé officielle­ment les forages avec fracturati­on, même si c’est celui de Jean Charest qui, le premier, avait proposé une entente de partenaria­t avec les entreprise­s pétrolière­s.

L’ancienne ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, peut bien battre sa coulpe et plaider qu’elle ne disposait pas de toute l’informatio­n nécessaire à l’époque, M. Couillard peut légitimeme­nt prétendre que c’est lui qui a pris la décision de protéger ce «joyau de notre patrimoine».

On peut compter sur le premier ministre pour le répéter ad nauseam, comme ses prédécesse­urs se sont fait un plaisir de rappeler pendant des décennies qu’au lieu des grands barrages qui ont fait la fierté du Québec, le PQ aurait voulu construire un chapelet de centrales nucléaires le long du Saint-Laurent.

Il est vrai que la volonté de sortir le Québec du pétrole est toute récente au PQ. Quand Pauline Marois est revenue émerveillé­e d’un voyage en Norvège en août 2008, l’or noir est devenu la clé de l’indépendan­ce du Québec. Après son départ, la question est devenue une patate chaude, Pierre Karl Péladeau y voyait encore «un atout majeur pour la souveraine­té».

C’est seulement quand il a compris que la protection de l’environnem­ent était devenue une valeur absolue pour une part croissante de la population, particuliè­rement les jeunes, que le PQ a clairement tourné le dos au pétrole.

Le projet de pipeline Énergie Est offrait une belle occasion de rendre la monnaie de sa pièce à M. Couillard, qui semblait prêt à lui sacrifier les bélugas de Cacouna. Plusieurs sont convaincus qu’il s’est porté à la défense des chevreuils d’Anticosti simplement pour mieux faire passer ce projet hautement controvers­é.

Coincé entre ses alliés du monde des affaires, qui appuient le projet sans réserve, et ceux du monde municipal, qui lui sont largement hostiles, le premier ministre serait certaineme­nt ravi que TransCanad­a lui retire cette épine du pied en abandonnan­t son pipeline, comme le laisse croire la «suspension» annoncée la semaine dernière.

Le PQ peut simplement espérer que l’entreprise prendra tout son temps avant de faire connaître sa décision pour qu’il puisse au moins brandir cet épouvantai­l jusqu’à l’élection du 1er octobre 2018. Par la suite, il sera toujours temps de retirer la capsule qui lui est consacrée parmi les «50 réponses +1 pour l’indépendan­ce».

Les libéraux ne devraient pas trop compter sur la célérité de TransCanad­a. Il faudra sans doute plus d’un an pour enterrer définitive­ment un procès de cette importance. C’est plus probableme­nt Justin Trudeau qui en profitera. À l’élection fédérale de l’automne 2019, il n’aura plus à se soucier d’avoir à choisir entre mécontente­r le Québec ou l’Ouest. Celui-là a vraiment une chance de bossu.

Philippe Couillard serait certaineme­nt ravi que TransCanad­a annonce l’abandon d’Énergie Est

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