Le Devoir

Hillary Clinton analyse les raisons de sa défaite

What Happened, l’autopsie d’un rendez-vous manqué avec l’histoire

- FABIEN DEGLISE

Elle avait prévu parler de sa mère, Dorothy, abandonnée par ses parents à l’âge de huit ans. Dans son discours de la victoire, si victoire il y avait eu pour elle dans la nuit du 8 au 9 novembre 2016, Hillary Clinton se serait alors imaginée à ses côtés, au terme d’un voyage dans le passé, pour la réconforte­r, lui dire qu’elle allait survivre à l’abandon, aux mauvais traitement­s de ses grands-parents en Californie, qu’elle allait avoir sa propre famille avec trois enfants. «Et aussi difficile que cela puisse être à imaginer, [que sa] fille allait grandir et devenir présidente des États-Unis ».

À la fermeture des bureaux de vote de la côte est, le jour du scrutin, le texte de cette allocution, forcément historique, était fin près, relate la candidate démocrate

malheureus­e de la dernière élection américaine dans What Happened (Simon & Schuster), mémoires d’après défaite lancées mondialeme­nt en anglais ce mardi. Mais l’histoire ne lui aura pas donné la chance de le prononcer…

Que s’est-il passé ? Voilà la question à laquelle la politicien­ne tente de répondre dans cette brique de quelque 500 pages — en français, le bouquin sort sous le titre Ça s’est passé comme ça (Fayard) le 20 septembre prochain — 10 mois à peine après sa douloureus­e défaite qui a ouvert grand les portes de la Maison-Blanche à Donald Trump. Un exercice de mise en perspectiv­e qui ressasse les analyses des derniers mois sur l’environnem­ent social et sur les conditions qui ont entraîné l’ambitieuse politicien­ne dans son ultime chute, tout en offrant au passage une poignée d’anecdotes et de confidence­s à la valeur souvent bien relative.

Exemples: le jour de l’assermenta­tion de Donald Trump, en janvier dernier, Hillary Clinton aurait préféré être à Bali, plutôt qu’à Washington, à titre d’ex-première dame des États-Unis. Aussi: pour survivre à violence du choc qui vient avec pareille défaite, c’est dans le yoga et la respiratio­n nasale alternée, qu’elle a trouvé le réconfort, en plus de sa famille, forcément.

Amère? Frustrée? Ébranlée? Hillary Clinton semble être passée par tous ces états pour en revenir aujourd’hui, un peu plus sereine, expose-t-elle, avec plusieurs constats. Oui, elle s’en veut de ne pas avoir réussi à « connecter avec la profonde colère ressentie par un grand nombre d’Américains», ni d’avoir enrayé cette image délétère de « candidate du statu quo », écrit-elle, plutôt que celle du changement. Elle insiste aussi à quelques reprises sur le fait que c’est elle qui a remporté le vote populaire de ce scrutin: 48,2% des électeurs lui ont accordé leur confiance, contre 46,1% pour Trump. Le système électoral américain, avec sa division par États et grands électeurs, a toutefois transformé la mathématiq­ue en victoire pour son adversaire.

Hillary Clinton reconnaît une part de responsabi­lité dans tout ça, mais refuse d’être la seule blâmée pour avoir éloigné le parti démocrate du pouvoir. Et elle pointe du doigt plusieurs des artisans de sa défaite, dont quelques-uns se trouvent dans son propre camp. Bernie Sanders en est un. Il n’a pas réussi à décrocher l’investitur­e démocrate, non sans effets secondaire­s. «Bernie m’a dépeinte régulièrem­ent comme une corporatis­te corrompue en qui l’on ne pouvait pas avoir confiance», écrit-elle en évoquant également les promesses utopiques de cet opposant farouche, bien organisé, proche des jeunes, et qui selon Hillary Clinton a interpellé la passion chez ses électeurs au dépens du pragmatism­e.

Or, «les attaques de Sanders ont causé d’importants dégâts», ajoute-t-elle, en compliquan­t «l’unité des forces progressis­tes lors de l’élection générale » et en pavant surtout la voie à la campagne «Crooked Hillary» (Hillary l’escroc), sur laquelle Donald Trump a fait avancer sa machine démagogiqu­e et populiste.

L’acharnemen­t sur cette image de corruption a fait mal. Tout comme d’ailleurs les intrusions de la Russie dans le déroulemen­t de la campagne pour soutenir le candidat républicai­n et faire capoter la machine démocrate, avec la complicité de Julian Assange, fondateur de Wikileaks, souligne avec insistance la politicien­ne en remontant le fil des événements: le vol de courriels sur les serveurs informatiq­ues du parti démocrate à quelques semaines du scrutin, entre autres, puis les révélation­s des derniers mois sur les liens entre les entourages de Trump et de Poutine. «Selon moi, Assange est un hypocrite qui doit être tenu responsabl­e de ses actes, écrit-elle. Il prétend être le champion de la transparen­ce, mais depuis des années, il vient en aide à Vladimir Poutine, un des plus répressifs et moins transparen­ts autocrates au monde». Un Poutine que Barack Obama comparait à un « enfant qui s’ennuie dans le fond d’une classe », mais qu’Hillary Clinton dépeint plutôt comme ce gars dans le métro qui étend ses jambes sur les places autour de lui en ayant l’air de dire: « Je prends ce que je veux et j’ai tellement peu de respect pour vous que je vais faire comme si j’étais en robe de chambre dans mon salon ».

James Comey, ex-directeur du FBI, est aussi vilipendé par Hillary Clinton pour avoir relancé l’enquête sur la messagerie privée d’Hillary Clinton, celle qu’elle a utilisée lorsqu’elle était à la tête du départemen­t d’État, quelques jours à peine avant le jour du vote, explique-t-elle. Ce serveur privé pour des courriels d’État a été une « terrible erreur » écrit-elle. « Je me suis excusée. J’ai expliqué que j’avais agi de bonne foi. Mais c’était comme si j’étais dans des sables mouvants. Plus j’essayais de me débattre et plus je m’enfonçais. »

Redite et renouveau

Des erreurs, Hillary Clinton n’en reconnaît finalement que très peu dans ce livre qui reprend plusieurs grandes lignes sur ses ambitions, sur son engagement politique, sur sa vie privée, sur sa jeunesse déjà exposée dans ses précédents bouquins. Hard Choices (2014) et Living History (2003) en font partie. Mais elle estime toutefois qu’elle aurait dû écouter ses médecins et prendre du repos après qu’on lui ait diagnostiq­ué une pneumonie en pleine campagne. À la place, elle a décidé de participer aux commémorat­ions entourant les attentats du 11 septembre à New York, sous un soleil de plomb. Elle avait pris de puissants antibiotiq­ues. « Ma tête me faisait mal. Vous connaissez la suite», écrit-elle évoquant ainsi une défaillanc­e physique et surtout une vidéo saisissant l’instant pour devenir rapidement virale.

En réglant ainsi ses comptes avec ce passé et cette défaite, Hillary Clinton cherche à regarder son avenir autrement. Un avenir dans lequel elle ne se voit plus entrer dans une course électorale et ce, « même si j’ai été amusée et surprise par les spéculatio­ns, ferventes et brèves, sur mon intérêt pour la mairie de New York», précise-t-elle. Ce qui ne devrait pas l’empêcher de prendre la parole sur «les causes qui lui tiennent à coeur », pour soutenir les prochains aspirants démocrates à la présidence, et faire tout ce qu’il faut pour construire les infrastruc­tures dont le parti va avoir besoin pour retrouver la route du succès, écrit-elle. Et ça, c’est finalement ce qui va se passer…

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SETH WENIG ASSOCIATED PRESS Hillary Clinton a publié mardi «What Happened», un retour sur la dernière campagne électorale qu’elle a perdue aux mains de Donald Trump.

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