Le Devoir

Amherst aux oubliettes

Le maire de Montréal s’engagera aujourd’hui à rebaptiser la rue pour favoriser la réconcilia­tion avec les autochtone­s

- JEANNE CORRIVEAU JEAN-FRANÇOIS NADEAU

La rue Amherst à Montréal devrait changer de nom à plus ou moins brève échéance. Le maire Denis Coderre a l’intention d’effacer la mémoire de l’officier britanniqu­e Jeffery Amherst de la toponymie montréalai­se dans la foulée de la démarche de réconcilia­tion engagée par la Ville de Montréal avec les peuples autochtone­s.

À l’occasion du 10e anniversai­re de la Déclaratio­n des Nations Unies sur les droits des peuples autochtone­s, le maire Coderre dévoilera mercredi matin le nouveau drapeau de la Ville de Montréal. Ce drapeau comportera désormais un symbole représenta­nt la contributi­on des communauté­s autochtone­s à l’histoire de la Ville. Les armoiries de Montréal ont également été modifiées pour inclure ce symbole autochtone, qui s’ajoutera aux emblèmes des Français, Anglais, Irlandais et Écossais.

Mais le maire souhaite aussi faire disparaîtr­e le nom du général Amherst de la toponymie montréalai­se. Jeffery Amherst avait notamment dirigé les troupes britanniqu­es à l’assaut de Montréal qui avait dû capituler en 1760. Mais on reproche surtout au militaire d’avoir voulu inoculer la variole chez les Amérindien­s pour les exterminer. La rue Amherst, qui s’étend de la rue Notre-Dame jusqu’à la rue Sherbrooke, porte le nom du général mal-aimé depuis plus de 200 ans.

Le débat sur la présence d’Amherst dans la toponymie montréalai­se est récurrent. Au fil des années, des citoyens, politicien­s et commentate­urs ont réclamé le retrait de ce nom.

Dans son allocution prononcée la semaine dernière lors de la première du film Hochelaga, de François Girard, le maire Coderre a indiqué

son intention de « régler le cas du général Amherst ». Il a réitéré au Devoir la volonté de son administra­tion d’effacer le nom d’Amherst. « Je pense que si on enlève [le nom d’]Alexis Carrel, il faut aussi penser qu’il y a de ces hommes infâmes qui ont posé des gestes inacceptab­les », a-t-il indiqué.

Pour l’instant toutefois, le nom de remplaceme­nt n’a pas été choisi. Dans le passé, plusieurs noms avaient été suggérés, dont ceux de Pontiac, chef algonquin de la nation des Outaouais, l’ex-premier ministre Jacques Parizeau, le chef innu Anadabijou ou Kondiaronk, chef huron qui avait négocié le traité de la Grande Paix de Montréal de 1701. Depuis 2002, le belvédère du mont Royal porte d’ailleurs le nom de Kondiaronk.

Joint par Le Devoir, le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, a indiqué voir d’un bon oeil la disparitio­n éventuelle du nom d’Amherst. Mais il se garde bien pour l’instant de suggérer des noms pour le remplacer.

Guerre bactériolo­gique

Jeffery Amherst fut un officier respecté, aux manières froides et aux décisions forgées par les objectifs ultimes de la royauté. On sait qu’après la Conquête de 1763, à l’heure du soulèvemen­t du chef Pontiac, il préconisa l’exterminat­ion des Amérindien­s par l’usage de tissus infectés par la variole. Il n’était pas le premier à avoir cette idée d’une guerre pour ainsi dire bactériolo­gique avant l’heure.

Entré dès l’adolescenc­e dans l’armée, sa formation est supervisée par quelques-uns des meilleurs officiers de Sa Majesté. Formé en Irlande, Amherst se trouve sur les champs de bataille d’Allemagne et de Belgique. Dès 1747, il est aide de camp du général huguenot Jean Louis de Ligonieré. À ce titre, il ne sera pas loin des activités du commandeme­nt en chef des forces britanniqu­es en Europe. Amherst sert en Allemagne à nouveau durant la guerre de Sept Ans. En 1757, il est au nombre des troupes qui

se battent à Hastenbeck. Son chef, le prince William, duc de Cumberland, essuie alors une défaite devant l’armée française. C’est Ligonier qui va lui succéder. La carrière de son protégé Amherst va alors se transporte­r outre-Atlantique.

En 1758, le commandant Ligonier a décidé de prendre la forteresse de Louisbourg, située sur l’île du Cap-Breton. C’est là un verrou à faire sauter pour prendre le contrôle du grand fleuve Saint-Laurent. Homme de confiance de la haute administra­tion de l’armée, Amherst était connu comme officier d’état-major mais pas comme un acteur de terrain. Le roi accepta finalement de le nommer major général en Amérique. Au nombre de ses subalterne­s, on trouve le général James Wolfe, qui mourra lors de la prise de Québec.

Amherst va obéir à des ordres détaillés. Louisbourg tomba devant sa poussée. Les historiens parlent de sa maîtrise exceptionn­elle des armées placées sous sa gouverne. Il se porta ensuite à l’attaque du fort Carillon, dans l’État de New York. Sous son commandeme­nt, Wolfe fut chargé de détruire les habitation­s le long des rives du Saint-Laurent. À la suite de ses succès militaires, Amherst est nommé commandant en chef pour l’Amérique, marque de confiance absolue du pouvoir royal anglais. Le plan de prendre Québec et Montréal fut alors élaboré. On connaît la suite.

Effacer ou pas?

Pour l’historien Yvan Lamonde, spécialist­e de l’histoire des idées, «il y a un deuil dans la mémoire québécoise qui n’a pas été fait ». À son sens,

«mieux vaut conserver les choses en l’état, ne serait-ce que pour stimuler la compréhens­ion de l’histoire. La Conquête ou les Saints, ça fait partie de notre réalité. Il faut apprendre à respecter ces noms-là, en somme il faut prendre une certaine maturité, une distance ». Ces noms, explique l’historien, «ne changent pas notre présent et notre avenir. Ce n’est pas en changeant de nom que l’on acquiert cette maîtrise». S’il est vrai qu’Amherst représente «une figure assez vive du Conquérant », il ya à son sens« un carquois de raisons » pour ne pas pour autant le cacher. «Ça montre une fragilité, ces réactions globales et rapides, notamment à l’égard des Anglais. Il faut apprendre à être solide dans notre identité autrement, en ayant notamment cette capacité à regarder l’autre en face. Il y a un deuil dans la mémoire québécoise qui n’a pas été fait.»

À l’heure de sa retraite en Angleterre, Jeffery Amherst avait été le premier gouverneur du Canada, gouverneur de la Virginie, commandant en chef des armées britanniqu­es et maréchal. Grande figure des armées britanniqu­es, il fit faire son portrait à plusieurs reprises, notamment devant les rapides du SaintLaure­nt. À son retour définitif en Angleterre, il fut fait baron par la couronne. Sous le nom de Jeffery Amherst of Holmesdale, premier baron du nom, il vécut jusqu’à sa mort dans sa résidence cossue du comté de Kent appelée « Montréal ». Cette maison a été démolie vers 1938, mais un parc continue de porter ce nom de Montréal.

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