Ottawa va trop vite pour la police
Les corps policiers n’auront pas les moyens d’appliquer la loi, disent les chefs
Au tour des policiers du pays de prévenir qu’ils ne seront pas prêts à temps pour la légalisation de la marijuana l’été prochain. Car la future loi leur ajoutera du boulot, ont-ils prévenu, puisqu’ils devront patrouiller sur les routes pour déceler les conducteurs qui ont consommé et dénicher les citoyens qui abriteront des usines à marijuana au profit du crime organisé.
Le constat des policiers invités au comité parlementaire qui épluche la loi légalisant la marijuana était pour le moins alarmant. « Si la loi est prête à être lancée pour juillet 2018, la police ne sera pas prête au 1er août 2018. C’est impossible », a prévenu Rick Barnum, de la Police provinciale de l’Ontario. Un avertissement repris par l’Association canadienne des chefs de police, qui a officiellement demandé au fédéral de ralentir la cadence pour donner le temps aux policiers de se préparer aux projets de loi fédéral et provinciaux une fois que ceux-ci auront été adoptés.
La veille, le gouvernement de la Saskatchewan disait craindre lui aussi de ne pas réussir à respecter l’échéancier fédéral.
Malgré tout, Ottawa garde le cap. «Notre objectif reste le même, juillet 2018», a tranché mardi Joël Lightbound, secrétaire parlementaire de la ministre de la Santé.
Les policiers craignent cependant de ne pas parvenir à gérer la culture personnelle, qui sera autorisée à raison de quatre plants par résidence . Les entrées par effraction et les vols dans les domiciles risquent d’exploser, selon les forces de l’ordre, tandis que les citoyens dépasseront les limites de possession permises et s’en serviront pour alimenter le marché noir. «De croire qu’il y aura, sur un bord de fenêtre, quatre petits plants qui poussent dans un petit bol et que, un jour à un moment donné, ils produiront un peu de bourgeons et que quelqu’un se roulera un joint, ce n’est pas raisonnable. Pas dans le monde d’aujourd’hui. Ce n’est pas notre expérience », a martelé M. Burnam, de la police ontarienne. Il croit plutôt que le crime organisé s’emparera d’immeubles à logements au complet, payant les résidents afin qu’ils fassent chacun pousser quatre plants pour les refiler ensuite aux criminels.
Quant aux routes canadiennes, les policiers s’attendent à ce qu’elles soient remplies de conducteurs aux facultés affaiblies. Il manque d’experts capables de déceler les effets de la drogue — par rapport à ceux de l’alcool. Leur formation n’est offerte qu’aux États-Unis et il faudra des mois pour en entraîner des milliers. Les corps policiers devront en outre se procurer des appareils de dépistage du cannabis, ontils souligné.
Des représentants du Colorado et de l’État de Washington sont venus tempérer certaines craintes, eux qui ont légalisé la marijuana récréative au cours des dernières années. Soit, les statistiques de conduite avec facultés affaiblies ont augmenté dans les deux cas, mais la police ne répertoriait pas les conducteurs ayant consommé le cannabis avant de le légaliser. «Une hausse des cas d’infraction peut découler de signalements plutôt que d’un taux réel de cas », a expliqué Michael Hartman, du département du Revenu du Colorado. Quant aux appareils de dépistage, qui peinent à mesurer le taux d’intoxication puisque le niveau de THC n’affecte pas tout le monde de la même façon, M. Hartman a rappelé que la technologie qui a créé les éthylomètres n’existait pas quand l’alcool a été légalisé.
Trop criminel, selon le Barreau
Le projet de loi C-45 prévoit d’autoriser la possession de 30 grammes pour les adultes, mais de moins de cinq grammes pour les mineurs, qui ne seraient toutefois pas accusés au criminel. Une iniquité qui pose problème au Barreau du Québec. «Les jeunes ne devraient pas avoir de peines plus sévères que les adultes pour un même comportement », a critiqué Pascal Levesque.
L’avocate criminaliste Anne London-Weinstein s’inquiète en outre du sort des Canadiens qui accepteront de payer une contravention, s’ils possèdent 20 grammes ou deux plants de trop, sans savoir ce qu’il adviendra de leur dossier judiciaire. Celui-ci sera «distinct», mais la loi ne précise pas qui pourra le consulter. Le Devoir révélait cet été que les corps policiers et les douaniers y auraient accès.