Le Devoir

Les médecins ont droit au congé parental

Une accusation lancée contre Justin Trudeau était sans fondement

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

L’intention d’Ottawa de resserrer les règles fiscales s’appliquant aux corporatio­ns privées passe mal auprès des médecins, qui disent avoir besoin des économies générées pour notamment se payer des congés parentaux. Mardi, c’était au tour du premier ministre de Terre-Neuve de mettre en garde contre une réforme qui ferait, à son avis, fuir les médecins des régions. La réalité, c’est que les congés parentaux pour médecins existent déjà presque partout au pays.

Le gouverneme­nt de Justin Trudeau veut mettre fin au saupoudrag­e salarial. Il s’agit pour un profession­nel de s’incorporer et de verser un salaire à des membres adultes de sa famille même si ces personnes n’effectuent aucun travail pour la corporatio­n. En divisant ainsi ses revenus, le profession­nel se retrouve avec une facture fiscale à payer moins élevée. Des vidéos en ligne expliquent aux médecins pourquoi ils ont intérêt à s’incorporer de la sorte. L’une d’elles calcule que le médecin qui saupoudre un revenu de 200 000$ entre lui et deux proches peut économiser environ 20 000 $ par année.

La semaine dernière, alors qu’il se trouvait à Kelowna pour la réunion estivale de son caucus, Justin Trudeau a été interpellé par des médecins qui ont fait valoir que ce mécanisme permettait de payer un conjoint pour qu’il reste à la maison s’occuper des enfants. Lorsque M. Trudeau a fait valoir qu’il existait des congés parentaux pour les médecins, il s’est fait traiter de menteur.

Après vérificati­on, on a observé que 9 des 10 provinces canadienne­s offrent effectivem­ent un congé parental aux médecins. Ce congé est de 17 semaines, sauf en Saskatchew­an où il est de 20 semaines. Le montant versé est de 1000$ par semaine dans cinq provinces, de 1200$ à Terre-Neuve et au Manitoba et de 1300$ en Saskatchew­an. Seule l’Île-du-Prince-Édouard, où pratiquent 246 médecins, n’offre pas de congé parental.

Si la durée de ce congé est moins longue que celui offert par Ottawa à tous les travailleu­rs salariés (50 semaines), il est cependant beaucoup plus généreux. Le programme fédéral ne remplace que 55 % du salaire assurable, jusqu’à concurrenc­e de 543 $ par semaine.

Au Québec, la situation est encore plus confortabl­e, les médecins se qualifiant au programme d’assurance parentale de la province de 50 semaines, à 970$ par semaine pour la première moitié, puis à 765 $. De surcroît, ils peuvent en parallèle se prévaloir d’un programme mis sur pied pour eux en 1996 accordant 12 semaines de congé à raison de 1500 $ par semaine pour les omnipratic­iens et de 2400$ pour les spécialist­es. Les médecins travaillan­t en pratique privée peuvent aussi se qualifier à une indemnisat­ion supplément­aire allant de 8000 $ à 12 000 $.

L’Associatio­n médicale canadienne n’a pas voulu accorder d’entrevue au Devoir. Une porte-parole a redirigé nos demandes vers le site Internet de l’organisati­on, où on peut entendre la présidente, Gigi Osler. « Nous avons entendu des histoires difficiles de femmes qui disent que ces changement­s fiscaux les désavantag­eront, dit-elle. Certaines ont dit qu’elles sont fâchées et frustrées d’avoir à choisir entre leur emploi de rêve — être médecin — et devenir mère.»

L’Associatio­n des infirmière­s et infirmiers du Canada (AIIC) appuie les changement­s proposés. En tant que salariées, les infirmière­s ne se qualifient pas à l’incorporat­ion et aux avantages fiscaux qu’Ottawa veut éliminer. «Nous croyons que chaque palier du gouverneme­nt a le devoir d’assurer que tous les contribuab­les, y compris ceux dans la tranche de revenu la plus élevée, paient leur juste part», dit la déclaratio­n officielle. L’AIIC s’est depuis défendue de faire de cet enjeu un débat entre médecins et infirmière­s.

À Saint-Jean mardi, le premier ministre terreneuvi­en, Dwight Ball, a demandé au cabinet de Justin Trudeau, qui s’y réunissait en vue de la rentrée parlementa­ire, d’expliquer clairement les «conséquenc­es» des changement­s envisagés. «Je veux m’assurer que nous aurons assez de médecins, assez de fournisseu­rs de soins de santé.»

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