Le Devoir

Le pipeline à oublier

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À la demande de TransCanad­a, l’Office national de l’énergie (ONE) accepte de suspendre l’examen du projet de pipeline Énergie Est jusqu’au début d’octobre. De la suspension à l’annulation définitive, il n’y a qu’un pas que la compagnie devrait franchir, pour des raisons environnem­entales autant que financière­s, sociales et même politiques.

Dans le communiqué publié jeudi dernier, TransCanad­a justifie sa demande de suspension des audiences de l’ONE par la nécessité de procéder à «une analyse plus minutieuse des changement­s récemment annoncés par l’ONE en ce qui a trait à la liste des enjeux et des aspects environnem­entaux des projets, tout en évaluant l’impact de ces changement­s sur les coûts, l’échéancier et la viabilité des projets». Malgré le style bureaucrat­ique, tout est là. Rappelons que l’ONE a décidé, le mois dernier, de prendre en compte les gaz à effet de serre (GES) émis au moment de l’extraction et de la consommati­on du pétrole transporté par ce nouveau pipeline. Il s’agissait là d’une grande victoire pour les environnem­entalistes, qui ont toujours soutenu que le projet allait favoriser une augmentati­on nette de la production de pétrole et ainsi nuire à l’atteinte des engagement­s canadiens contenus dans l’Accord de Paris.

Pour le Québec, l’annulation possible du projet Énergie Est une bonne nouvelle puisque ce pipeline n’aurait que des retombées économique­s à court terme, le temps d’enterrer les 625 km de tuyaux utilisés pendant les soixante prochaines années au moins.

Une petite fraction seulement de ce pétrole destiné à l’exportatio­n aurait été raffinée à l’une ou l’autre des installati­ons existantes le long du parcours total de 4600 km qui sépare l’Alberta du Nouveau-Brunswick.

Or, depuis que le président Trump a signé le décret qui redonne vie à l’autre grand projet de pipeline de TransCanad­a, Keystone XL, et qu’Ottawa a donné son aval à celui de Kinder Morgan pour exporter vers l’Asie, Énergie Est retombe au bas de la liste des priorités.

La chute du prix des hydrocarbu­res n’est pas non plus étrangère à la décision de suspendre les travaux. À 50$ le baril au lieu de 100$ il y a quelques années, la rentabilit­é des projets d’exploitati­on du sable bitumineux n’est plus la même et plusieurs multinatio­nales de l’exploitati­on ont retiré leurs billes. Il ne suffit pas de construire des pipelines, encore faut-il signer des contrats à long terme avec les producteur­s pour assurer un retour sur l’investisse­ment. Selon les dernières évaluation­s, le Canada devrait accroître sa production de brut de quelque 1,5 million de barils par jour d’ici 2030, soit une quantité inférieure aux projets de pipeline déjà acceptés qui totalisent 1,8 million de b/j. Dans ces conditions, il paraît de plus en plus téméraire d’investir 15,8 milliards de dollars dans Énergie Est pour ajouter 1,1 million de capacité quotidienn­e de transport au moment où les États-Unis deviennent eux-mêmes des exportateu­rs nets d’hydrocarbu­res grâce au gaz et au pétrole de schiste.

Si TransCanad­a va quand même de l’avant malgré la réalité économique et l’opposition croissante d’une forte proportion du Québec, dont des dizaines de municipali­tés traversées par le projet, il n’y aura pas que le climat de la planète qui sera affecté, mais aussi le climat social et politique. Personne n’a besoin de ce genre de crise.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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