Le Devoir

Des crédits d’impôt toujours pertinents

- BERNARD LANDRY PAULINE MAROIS MICHEL AUDET MONIQUE JÉRÔME-FORGET ET RAYMOND BACHAND Anciens ministres des Finances du Québec

Beaucoup d’encre a coulé ces dernières semaines au sujet des crédits d’impôt accordés par l’État québécois aux entreprise­s, qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs, pour soutenir la production de titres multimédia­s. Cette mesure fiscale, nous l’avons mise en place ou soutenue tout au long de nos mandats respectifs au sein du gouverneme­nt et nous estimons qu’il est de notre devoir de faire valoir les arguments fondamenta­ux à prendre en considérat­ion pour en évaluer le bien-fondé, d’hier à aujourd’hui.

L’offre mondiale d’incitatifs s’est accrue de façon significat­ive au cours des dernières années, particuliè­rement aux États-Unis et surtout lorsqu’il est question d’attirer des projets stratégiqu­es au sein de secteurs de pointe. Des crédits d’impôt faramineux — on parle de centaines de millions et de milliards de dollars — ont été consentis récemment par des juridictio­ns américaine­s à de grandes sociétés, comme Boeing, Intel, Tesla et Facebook, et ce, malgré des taux de chômage avoisinant le plein-emploi! Le processus d’appel d’offres lancé par Amazon il y a quelques jours pour localiser son second siège social nord-américain constitue d’ailleurs un autre fort bel exemple d’investisse­ment pour lequel de nombreuses villes se battront à coup d’incitatifs fiscaux, dont Montréal, Toronto et Vancouver.

Mais pourquoi investir autant? Pour la bonne raison que les investisse­ments internatio­naux sont de puissants leviers de croissance économique. Dans le Grand Montréal, les filiales d’entreprise­s étrangères ne représente­nt que 1 % des établissem­ents, mais elles contribuen­t à 10% de l’emploi et à 20% du PIB. Les talents, les ressources et les technologi­es qu’elles font venir des quatre coins de la planète profitent à l’ensemble des PME locales. Au Canada, les sociétés sous contrôle étranger sont responsabl­es de 50% de toutes les exportatio­ns de marchandis­es et de 37% des dépenses d’entreprise en R et D.

Le Québec, avec un marché de seulement huit millions d’habitants, ne peut pas se permettre de rendre les armes. Déjà, en 2008, le rapport À armes égales du groupe de travail sur les aides fiscales aux régions ressources et à la nouvelle économie (Robert Gagné, Luc Godbout et Guy Lacroix) arrivait à la même conclusion : «Ce que l’on observe dans le monde conduit à considérer ces aides comme nécessaire­s, si l’on ne veut pas rater la croissance d’activités à forte valeur ajoutée…»

Secteurs à forte valeur ajoutée

Pour assurer son développem­ent économique, le Grand Montréal doit cibler des secteurs d’avenir dans lesquels il a toutes les chances de se démarquer. Grâce à cette approche stratégiqu­e, la métropole se classe aujourd’hui dans le «Top 5» des plus grands centres mondiaux en jeux vidéo, en effets visuels, en intelligen­ce artificiel­le et en aérospatia­le, attirant ainsi les plus grands joueurs.

Ne perdons pas de vue non plus que ces secteurs à haute valeur ajoutée génèrent des emplois très bien rémunérés, qui stimulent l’ensemble de l’économie. En 2014, l’économiste Enrico Moretti démontrait dans The New Geography of Jobs que, pour chaque nouvel emploi créé en haute technologi­e, cinq emplois sont créés ailleurs dans l’économie. Et bien que plusieurs entreprise­s technologi­ques du Québec fassent face à des défis de recrutemen­t, on ne parle pas que de déplacemen­ts d’emplois; au contraire, les crédits d’impôt favorisent la création nette d’emplois technologi­ques!

Les données de Statistiqu­e Canada démontrent en fait que le secteur des technologi­es de l’informatio­n (jeux vidéo, affaires électroniq­ues, services informatiq­ues, etc.) constitue l’un des principaux moteurs de création d’emplois au Québec, avec une progressio­n annuelle moyenne de 4,2% depuis cinq ans. En comparaiso­n, l’emploi total n’a augmenté en moyenne que de 0,5 % par année au cours de la même période. Plus important encore: des quelque 100 000 nouveaux emplois créés au Québec entre 2011 et 2016, plus de 12% étaient concentrés dans ce seul secteur. C’est deux fois plus qu’au Massachuse­tts et trois fois plus qu’en Ontario et en Californie !

Si l’on ajoute à cela l’absence d’une inflation marquée des salaires en TI, dont la progressio­n demeure stable à 2% par année en moyenne à Montréal, force est d’admettre que le bassin de travailleu­rs qualifiés est encore suffisant pour combler les besoins croissants des employeurs du Québec.

Les études produites en 2014 dans le cadre de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise ont confirmé que les crédits d’impôt consentis par le gouverneme­nt du Québec aux entreprise­s technologi­ques génèrent d’importante­s retombées économique­s qui dépassent largement les coûts engendrés. C’est le cas pour le crédit d’impôt qui touche le secteur du jeu vidéo tout comme pour celui qui s’applique au secteur des affaires électroniq­ues.

Ces entreprise­s technologi­ques génèrent donc des revenus supplément­aires pour l’État, en plus de revitalise­r certains quartiers, de développer une culture de l’innovation et de stimuler le rayonnemen­t internatio­nal. Elles ont changé, en quelques années à peine, le visage économique de la métropole.

Les vraies solutions

Il faut cependant rester vigilants… Le développem­ent d’une économie du savoir comme celle que le Québec est en train de bâtir repose essentiell­ement sur le talent. À ce chapitre, nous devons unir nos forces pour élargir notre bassin de main-d’oeuvre et assurer la relève en mettant en place de vraies solutions, comme la promotion des programmes de formation spécialisé­s et des diplômes universita­ires, l’attraction et la rétention des travailleu­rs et des étudiants internatio­naux, et l’intégratio­n des immigrants au marché du travail.

Soyons clairs: les crédits d’impôt du Québec ne sont pas destinés exclusivem­ent aux entreprise­s étrangères. Toutes les entreprise­s, sans exception, qui évoluent dans les secteurs admissible­s, y compris les entreprise­s locales, y ont accès. Vouloir les limiter aux entreprise­s locales serait discrimina­toire et nuirait à une petite économie comme celle du Québec, dont la croissance est fondamenta­lement reliée à son degré d’ouverture économique.

Au contraire, le gouverneme­nt du Québec devrait plutôt évaluer la possibilit­é d’élargir le périmètre des crédits d’impôt à d’autres secteurs à haute valeur ajoutée, au sein desquels la concurrenc­e fiscale est forte et qui présentent un fort potentiel de croissance. C’est de cette façon que Montréal parviendra à se maintenir au sommet des métropoles les plus technologi­ques au monde ainsi qu’à renforcer tout l’écosystème sur lequel repose sa croissance économique des années à venir.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Les données de Statistiqu­e Canada démontrent en fait que le secteur des technologi­es de l’informatio­n constitue l’un des principaux moteurs de création d’emplois au Québec, avec une progressio­n annuelle moyenne de 4,2% depuis cinq ans.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les données de Statistiqu­e Canada démontrent en fait que le secteur des technologi­es de l’informatio­n constitue l’un des principaux moteurs de création d’emplois au Québec, avec une progressio­n annuelle moyenne de 4,2% depuis cinq ans.

Newspapers in French

Newspapers from Canada