Le Devoir

Québec garde le contrôle

Le gouverneme­nt décrète un nouveau processus de nomination des membres sans aucune consultati­on

- ALEXANDRE SHIELDS

MTant les écologiste­s que les organismes patronaux ont plaidé pour la fin des nomination­s partisanes

ême s’il avait promis de moderniser le processus de sélection des membres du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE), jugé trop partisan, le gouverneme­nt Couillard vient d’adopter un décret qui maintient le contrôle politique sur les nomination­s des futurs membres. Ce règlement ne fera l’objet d’aucune consultati­on, puisque Québec a décidé de l’imposer en utilisant une procédure d’urgence.

Dès le dépôt de son projet de révision de la Loi sur la qualité de l’environnem­ent (LQE), le projet de loi no 102, le ministre de l’Environ- nement, David Heurtel, s’était engagé à « moderni- ser » le fonctionne­ment du BAPE. Selon ce qu’il pro- mettait alors, cet exercice devait inclure une révision du processus de sélection des membres de l’organisme, accusé par plusieurs d’être partisan et non transparen­t.

Lors de l’étude du projet de loi no 102 en commission parlementa­ire, le ministre avait toutefois donné peu de précisions sur ses intentions. Il avait simplement insisté sur la nécessité d’«un BAPE qui représente le plus de différente­s compétence­s possibles», tout en réitérant son intention de mettre en place un «comité de sélection » qui mènerait à un «processus d’embauche» en bonne et due forme.

Certains intervenan­ts, dont les chambres de commerce, avaient alors évoqué l’idée d’un comité d’experts indépendan­ts pour diriger ce processus. Des groupes environnem­entaux plaidaient pour leur part pour que l’Assemblée

nationale nomme le président du BAPE, de façon à lui assurer une plus grande indépendan­ce par rapport au gouverneme­nt en place. Cette idée a été rejetée par le ministre Heurtel.

La volonté des libéraux de Philippe Couillard s’est finalement traduite dans la nouvelle mouture de la LQE, adoptée en mars, par l’inclusion d’un article qui prévoit que « le gouverneme­nt établit une procédure de sélection des membres qui doit notamment prévoir la constituti­on d’un comité de sélection ».

Décret

Par la voie d’un décret publié mercredi dans la Gazette officielle, Québec a d’ailleurs annoncé l’adoption du «Règlement sur la procédure de sélection des personnes aptes à être nommées membres» du BAPE. Cette procédure, une première au Québec, prévoit que le gouverneme­nt continuera de contrôler le processus de nomination­s des membres de cet organisme « indépendan­t » chargé d’évaluer des projets de développem­ent qui peuvent avoir des impacts environnem­entaux, sociaux et économique­s majeurs.

Concrèteme­nt, à la suite de la publicatio­n d’un «avis de recrutemen­t» invitant les personnes intéressée­s à «soumettre leur candidatur­e », le comité qui sélectionn­era les personnes « aptes » pour le poste sera composé de trois personnes. Deux des membres seront « issus du gouverneme­nt », selon ce qu’on peut lire dans le décret, sans plus de précision. Un « représenta­nt du public apte à juger des qualités requises pour exercer la fonction de membre» du BAPE complétera le trio. Le décret ne donne pas plus de détails sur la façon dont cette personne sera choisie.

Les décisions de ce comité seront prises «à la majorité des membres», ce qui signifie que ceux issus de l’appareil gouverneme­ntal pourront décider des candidatur­es qui seront soumises au ministre de l’Environnem­ent en vue de la nomination définitive. Qui plus est, pour chaque poste, le comité devra soumettre au moins deux noms de personnes « aptes » au ministre. Dans tous les cas, précise le décret, les noms de ces candidats retenus par le comité demeureron­t « confidenti­els ». Il ne sera donc pas possible d’évaluer le choix du gouverneme­nt à la lumière des candidats jugés aptes pour le poste.

En définitive, le ministre pourra également, pour les postes de président et de vice-président, invoquer des « circonstan­ces exceptionn­elles » et relancer une nouvelle procédure de sélection dans le but de désigner une personne.

Contrôle politique

Pour l’avocat Jean Baril, professeur au Départemen­t des sciences juridiques de l’UQAM, il ne fait aucun doute que ce Règlement ne mettra pas fin au contrôle politique sur les nomination­s au BAPE, une réalité pourtant dénoncée par les partis politiques, les groupes patronaux et les écologiste­s.

«Le gouverneme­nt a voulu garder le plein contrôle sur la nomination des futurs membres du BAPE, estime Me Baril. Mais cette façon de faire discrédite à l’avance les nomination­s à venir, puisqu’au lieu de fonctionne­r en toute transparen­ce, le gouverneme­nt écarte la consultati­on et impose son règlement. »

Le gouverneme­nt Couillard a effectivem­ent décidé d’invoquer «l’urgence de la situation» pour faire fi du processus normal, qui prévoit qu’un projet de règlement ne peut être édicté avant une période de 60 jours suivant sa publicatio­n dans la Gazette officielle. Cela signifie qu’il n’y aura aucune consultati­on et que le règlement est entré en vigueur mercredi.

Selon Québec, l’urgence d’agir est due à l’expiration des mandats de cinq ans du président et du vice-président du BAPE, en novembre prochain. Une situation prévue depuis novembre 2012. «Je ne vois pas quelle était l’urgence qui justifie d’enfreindre les règles démocratiq­ues pour une question aussi importante que le processus de nomination des membres du BAPE », a souligné Jean Baril. Un point de vue partagé par Nature Québec, qui a dénoncé le manque de « transparen­ce » de la part du gouverneme­nt.

Au cabinet du ministre Heurtel, on a d’abord dit mercredi que les questions du Devoir concernant le nouveau règlement ne relevaient pas du ministre de l’Environnem­ent. Est-ce que le ministre estime qu’il permet de moderniser le processus, comme il l’avait promis en 2016, mais aussi d’éviter les nomination­s politiques pour les années à venir? «Oui, cela modernise le processus », a finalement indiqué l’attachée de presse de M. Heurtel, Émilie Simard. Le bureau du ministre n’a toutefois pas précisé en quoi il était nécessaire d’imposer le règlement, sans passer par le processus normal de consultati­on de 60 jours.

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