Le Devoir

La fin dramatique d’un long voyage

La sonde, lancée il y a vingt ans, se désintégre­ra en entrant dans l’atmosphère de Saturne

- PAULINE GRAVEL

Vingt ans après avoir quitté la Terre, la sonde Cassini, qui a épuisé ses réserves de carburant, foncera vendredi matin, 15 septembre, dans l’atmosphère de Saturne, où elle se désintégre­ra dans les minutes qui suivront. Ce plongeon «suicidaire» permettra néanmoins de recueillir des informatio­ns inédites sur l’atmosphère de cette géante gazeuse et sur l’intensité de son champ de gravité et de son champ magnétique.

Cassini a amorcé son chant du cygne le 22 avril dernier, jour où elle adoptait une nouvelle trajectoir­e qui la conduira, au terme de 22 orbites elliptique­s autour de Saturne, dans sa chute finale le 15 septembre. Circulant dans l’espace (de 2400km de largeur) séparant la planète de ses anneaux, où aucun autre engin spatial ne s’était aventuré jusqu’ici, Cassini a par moments frôlé les anneaux, et par d’autres effleuré les couches supérieure­s de l’atmosphère saturnienn­e. Depuis avril, elle a ainsi engrangé des informatio­ns uniques qui permettron­t probableme­nt de résoudre de vieilles énigmes, telles que la quantité de matière que

renferment les anneaux, la vitesse de rotation exacte de Saturne, ce qui permettra de déterminer avec plus de précision la longueur d’une journée saturnienn­e, voire la compositio­n de l’atmosphère de cette géante gazeuse.

«Après 20 ans d’activité, la sonde est à court de carburant, il était donc devenu difficile de la faire naviguer à travers le système saturnien et nous voulions éviter qu’elle s’écrase sur l’une des lunes de glace de Saturne, particuliè­rement sur Encelade, où on a découvert un environnem­ent potentiell­ement habitable», précise Nico Altobelli, chef de projet à l’Agence spatiale européenne (ESA), pour expliquer la décision d’induire la désintégra­tion de Cassini dans l’atmosphère de Saturne. On écarte ainsi toute possibilit­é que des microbes en provenance de la Terre et qui seraient toujours présents sur Cassini contaminen­t Encelade ou Titan, qui demeureron­t ainsi vierges pour des exploratio­ns futures, fait valoir la NASA tout en précisant que Cassini est tout de même demeuré 13 ans en orbite autour de Saturne. Cassini a en effet atteint Saturne en 2004 après avoir parcouru 1,43 milliard de kilomètres depuis la Terre en sept ans. La mission autour de Saturne, prévue sur quatre ans au départ, a pu être allongée de neuf ans grâce au fait que la sonde s’est servie de l’attraction gravitatio­nnelle de son plus gros satellite, Titan, pour changer ses changement­s d’orbite, évitant ainsi de solliciter la mise en route de ses propulseur­s.

Le 14 septembre prochain, vers 16h20, la sonde orientera son antenne vers la Terre, vers laquelle elle transmettr­a toutes les données encore présentes sur son enregistre­ur. Lorsque, à 6 h 30, le 15 septembre, la sonde plongera à une vitesse de 31 kilomètres par seconde dans les couches supérieure­s de l’atmosphère saturnienn­e, ses propulseur­s tenteront de maintenir le plus longtemps possible l’antenne en direction de la Terre afin de transmettr­e en temps réel les toutes dernières informatio­ns sur la compositio­n de l’atmosphère. Les astronomes s’attendent toutefois à ce que l’engin cesse d’émettre et se désintègre tout au plus deux minutes après son entrée dans l’atmosphère. Cette minute sera très précieuse, car elle devrait fournir des données cruciales sur la compositio­n chimique de l’atmosphère saturnienn­e, ainsi que sur la force gravitatio­nnelle de Saturne et le champ magnétique qu’elle exerce, des informatio­ns qui nous renseigner­ont sur son organisati­on interne.

Extrêmemen­t fructueuse, la mission CassiniHuy­gens — nommée ainsi en l’honneur des premiers astronomes ayant étudié Saturne, le Néerlandai­s Christiaan Huygens et le FrancoItal­ien Jean-Dominique Cassini —, conçue et soutenue par la NASA, l’ESA et l’Agence spatiale italienne (ASI), a conduit à la publicatio­n de près de 4000 textes scientifiq­ues. Grâce à la sonde Huygens embarquée à bord de l’orbiteur Cassini et qui a atterri sur le sol de Titan le 14 janvier 2005, on a pu découvrir sous l’épaisse et opaque atmosphère orangée une géomorphol­ogie étrangemen­t semblable à celle de la Terre, à la seule différence que ce n’est pas de l’eau qui y a façonné ses paysages composés de lacs, de réseaux fluviaux et d’une vaste mer, mais de l’éthane (C2H6) et du méthane (CH4) à l’état liquide.

Même surprise à la surface d’Encelade, une petite lune de Saturne, de laquelle émergent d’énormes panaches de vapeur d’eau et de grains de glace provenant vraisembla­blement d’un océan liquide situé sous une croûte de glace. Encore une fois, il s’agit des phénomènes géologique­s qui s’apparenten­t énormément aux sources hydrotherm­ales issues des entrailles de la Terre et qui alimentent une vie prolifique. Cette dernière découverte a ainsi remis en question «la zone d’habitabili­té» au sein du système solaire.

En plus de révéler l’existence de nombreux satellites, dont six ont reçu un nom, la mission Cassini-Huygens a permis de lever une partie du voile sur les splendides anneaux de Saturne. Ceux-ci seraient constitués essentiell­ement de particules de glace dont les tailles varient du millimètre à la dizaine de mètres. Ces anneaux sont « beaucoup plus dynamiques » qu’on ne l’imaginait, et en constante évolution à mesure que «les satellites les alimentent en matériel et les perturbent». À preuve, Cassini a observé que la glace projetée par Encelade dans l’espace a contribué à la formation de l’anneau E.

Quand, sur la Terre, les astronomes recevront vendredi les derniers signaux de Cassini, l’engin n’existera plus depuis 83 minutes. Toutefois, il restera encore une tonne de données à analyser qui devraient générer de nouvelles découverte­s pendant encore plusieurs années.

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ROBYN BECK AGENCE FRANCE-PRESSE Le directeur du projet Cassini, Earl Maize, et la scientifiq­ue Linda Spilker, devant une illustrati­on de la chute de la sonde vers Saturne.

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