Le Devoir

Le regard de l’institut québécois sur la souveraine­té

- LISA-MARIE GERVAIS

Créé avec le concours de Pierre Karl Péladeau alors qu’il était chef du Parti québécois, l’Institut de recherche sur l’autodéterm­ination des peuples et des indépendan­ces nationales sort son premier rapport sur le référendum catalan. Cette fois-ci pourrait être la bonne, analyse-t-on.

Un million de Catalans auraient défilé dans les rues à l’occasion de leur fête nationale le 11 septembre dernier. Ou 300 000 selon certains médias et commentate­urs. Qu’importe le nombre, le spectre du référendum qui se tiendra dans deux semaines planait indubitabl­ement sur l’événement.

«Il y avait une espèce de fébrilité, un espoir de vraiment pouvoir voter et s’exprimer dans un référendum […] et de le faire dans des conditions qui soient légales », raconte Daniel Turp, professeur de droit et ancien député bloquiste, qui est à Barcelone cette semaine pour des conférence­s. «En même temps, il y a un peu d’inquiétude et d’incertitud­e quant à ce que l’État espagnol pourrait faire.»

C’est dans ce contexte référendai­re que sort le premier rapport de l’Institut de recherche sur l’autodéterm­ination des peuples et des indépendan­ces nationales (IRAI), dont M. Turp est président. Avec trois collègues spécialist­es du domaine, il s’est penché — cela allait de soi — sur la question du droit à l’autodéterm­ination du peuple catalan, couvrant les aspects historique, sociologiq­ue, politique et juridique.

«Ce n’est pas seulement l’autodéterm­ination nationale dans une perspectiv­e québécoise qui nous intéressai­t. Il nous semblait que la Catalogne méritait qu’on l’étudie de manière approfondi­e dans une perspectiv­e internatio­nale et comparée », explique M. Turp en entrevue au Devoir.

Pour lui, le rapport de cet institut au démarrage controvers­é ne constitue pas, malgré des conclusion­s indéniable­ment favorables, un plaidoyer pour l’indépendan­ce de la Catalogne. «Je ne lis pas le rapport comme ça. Personne n’a voulu faire d’hypothèse de réussite ou d’échec du référendum, mais plutôt l’étudier de façon scientifiq­ue avec un souci de présenter les faits et d’exposer les limites, se défend-il. Il n’y a aucune intention de l’IRAI de faire un rapport qui peut être utilisé en disant: “Eux, ils sont pour l’indépendan­ce, ils sont avec nous et contre les Espagnols.” Mais il y a des constats qu’on peut faire.»

Ces constats sont, par exemple, que la conjonctur­e internatio­nale des dernières années montre qu’il émerge un droit démocratiq­ue à l’autodéterm­ination. «On ne peut priver un peuple de choisir son statut politique. Même si l’Espagne se dit indivisibl­e, indissolub­le, les États doivent consentir à ce que les peuples qui en font partie s’expriment sur leur avenir.»

Signe qu’émerge une « tradition constituti­onnelle commune» des États européens pour reconnaîtr­e la tenue et les résultats des référendum­s sur l’indépendan­ce, le Royaume-Uni ne s’est pas opposé à la tenue d’un référendum en Écosse, pas plus que le Danemark par rapport aux velléités indépendan­tistes du Groenland ou des îles Féroé, fait remarquer Daniel Turp. L’Europe ne s’est pas non plus opposée aux nouveaux États nés après la chute de l’URSS.

Professeur en sciences politiques à l’Université de Coventry, en Angleterre, Marc Qvortrup s’est intéressé aux référendum­s sur l’indépendan­ce et à leur histoire et il a relevé quelques conditions gagnantes qui semblent s’appliquer au référendum catalan du 1er octobre: les électeurs ont tendance à cocher oui s’ils sont déjà favorables au projet d’indépendan­ce — le gouverneme­nt catalan est indépendan­tiste et la consultati­on participat­ive du 9 novembre 2014 a massivemen­t voté oui — et si le gouverneme­nt promouvant le changement et proposant la sécession est au pouvoir depuis relativeme­nt peu de temps — le gouverneme­nt séparatist­e est au pouvoir depuis 2015.

Autre signe favorable à la tenue du référendum catalan, à tout le moins pour asseoir la légalité du processus: adoptée par le Parlement catalan — 72 voix pour et 11 abstention­s — la semaine dernière, la loi encadrant le référendum d’autodéterm­ination répond, malgré quelques réserves, aux standards internatio­naux, a constaté M. Qvortrup.

La formulatio­n de la question est « exemplaire», aucune majorité spéciale n’est exigée, ce qui est conforme à la pratique de la plupart des référendum­s qui se sont tenus dans le monde. En revanche, elle est peu détaillée et laisse place à des incertitud­es qui engendrent un certain déficit de légitimité sur le plan politique, souligne le chercheur. «Toutefois, notre conclusion générale est que cette loi répond aux exigences minimales pour la tenue d’un référendum équitable», que ce dernier soit constituti­onnellemen­t légal ou conforme, ou non, au droit internatio­nal.

Malgré ce vent favorable, nul ne saurait prédire l’issue du vote du 1er octobre prochain. De manière encore plus intense ces derniers jours, le gouverneme­nt central espagnol tente par tous les moyens d’empêcher le référendum, menaçant de saisir les urnes et le matériel électoral et d’emprisonne­r les maires récalcitra­nts. Cette intransige­ance de Madrid est, selon Daniel Turp, peut-être un autre signe que «les conditions sont favorables à un vote positif».

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PAU BARRENA AGENCE FRANCE-PRESSE Les Catalans ont défilé dans les rues lundi à l’occasion de leur fête nationale.

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