Le Devoir

Actualités › L’ami devenu gênant.

Le chef de cabinet démissionn­aire de Philippe Couillard aurait pu être une source d’embarras lors de la prochaine élection générale. La chronique de Michel David.

- MICHEL DAVID

Le premier ministre Couillard a raison de dire que le poste de chef du cabinet est l’un des plus difficiles en politique. L’un des plus ingrats aussi: il ne reçoit aucun crédit pour les bons coups et porte inévitable­ment le blâme pour les mauvais.

Jean-Louis Dufresne sera demeuré en poste durant trois ans et demi, ce qui se situe dans la bonne moyenne. Les sept années que JeanRoch Boivin a passées aux côtés de René Lévesque constituen­t une exception. Jean Charest a eu cinq chefs de cabinet en neuf ans.

S’il est vrai que le premier lieutenant du premier ministre se retrouve constammen­t coincé entre l’arbre et l’écorce, et qu’il doit épargner les tâches désagréabl­es à son patron, cela ne signifie pas qu’il doit nécessaire­ment se faire détester du caucus des députés.

M. Dufresne semble avoir pris pour modèle Mario Bertrand, dit «L’Abrasif», chef de cabinet de Robert Bourassa entre 1986 et 1989, dont les manières brutales sont demeurées légendaire­s. Pourtant, son mentor a plutôt été le successeur de M. Bertrand, John Parisella, surnommé « M. Nice Guy », qui entretenai­t d’excellente­s relations non seulement avec les députés de son parti, mais aussi avec ceux de l’opposition. M. Dufresne était sans doute détestable, mais il n’en a pas moins joué son rôle de paratonner­re avec une absolue loyauté.

Ce qui ne convenait peut-être plus, c’est un passé susceptibl­e de devenir encore plus embarrassa­nt

Le premier ministre assure que le cafouillag­e dans Louis-Hébert, qui risque de faire perdre au PLQ le siège que Sam Hamad détenait depuis 2003, n’a pas été « l’élément majeur » qui a provoqué le départ de M. Dufresne. De toute évidence, choisir Éric Tétrault était une erreur, mais il serait étonnant que cela ait suffi à amener M. Couillard à congédier son ami d’enfance.

À l’entendre, ce ne serait ni la grogne des députés ni une quelconque perte de confiance dans le jugement de son chef de cabinet qui aurait motivé sa décision, mais plutôt la nécessité, après la «restaurati­on» des dernières années, de faire entrer le Québec dans une nouvelle phase, celle de la « transforma­tion », qui exigerait un «style» et un «rythme» différents.

Il n’a cependant pas expliqué en quoi consistait cette « transforma­tion ». Au début de son mandat, M. Couillard avait conseillé à un aréopage de hauts fonctionna­ires et de dirigeants de sociétés d’État la lecture de l’essai The Fourth Revolution – The Global Race to Reinvent the State, qui l’avait personnell­ement beaucoup inspiré. Après celle de l’État-providence, la quatrième révolution serait celle de la mise en place d’un État plus mince et plus efficace, qui s’appuierait sur les vraies « valeurs libérales».

Si c’est une « transforma­tion » de ce genre qu’envisage le premier ministre, elle paraît difficilem­ent conciliabl­e avec les réinvestis­sements dans les services publics que plusieurs attendent encore après des années d’austérité. Le moment ne semble pas très approprié pour proposer une nouvelle réingénier­ie de l’État. Et si c’est malgré tout ce que projette M. Couillard, cela n’explique pas en quoi le «style» et le «rythme» de M. Dufresne le disqualifi­aient.

Ce qui ne convenait peut-être plus, c’est un passé susceptibl­e de devenir encore plus embarrassa­nt en année électorale. Au printemps dernier, M. Couillard a fait peu de cas des liens de son chef de cabinet avec le grand argentier de Jean Charest, Marc Bibeau, à l’époque où il travaillai­t chez BCP Consultant­s, comme du témoignage de l’entreprene­ur Paul Sauvé, qui l’avait mêlé aux opérations de financemen­t du PLQ devant la commission Charbonnea­u.

L’intégrité demeure néanmoins le talon d’Achille du gouverneme­nt Couillard. Au cours des prochains mois, les partis d’opposition vont tout faire pour réveiller les fantômes de l’époque Charest, et l’actualité pourrait bien leur donner de nouvelles munitions. Si M. Dufresne était à nouveau impliqué d’une manière ou d’une autre, il serait trop tard pour l’écarter. Il valait mieux prévenir, ce dont il était probableme­nt le premier à convenir.

M. Bibeau est dans la mire de l’UPAC depuis longtemps. Ses avocats ont eu beau multiplier les manoeuvres dilatoires, l’enquête Mâchurer va aboutir un jour ou l’autre. Qui sait ce qui pourrait en sortir? En période électorale, la moindre révélation peut être montée en épingle et faire dérailler une campagne. Sur la foi de quelques courriels qui ont fait l’objet d’une fuite, François Legault a déjà conclu que M. Dufresne servait de porte d’entrée du gouverneme­nt Charest pour les entreprise­s de M. Bibeau et qu’il manipulait ses ministres.

Si la « transforma­tion » projetée par le premier ministre vise à le dissocier de l’ère Charest, plusieurs au Conseil des ministres devraient commencer à réfléchir sérieuseme­nt à leur avenir. mdavid@ledevoir.com

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