Le Devoir

Ottawa pourrait forcer la culture de « superplant­s »

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le gouverneme­nt fédéral s’apprête-t-il à forcer les Canadiens à faire pousser de gros plants de cannabis archiprodu­ctifs? C’est ce qui pourrait bien se produire, de l’avis d’un chercheur scientifiq­ue, car la variété de marijuana qui n’atteint pas plus d’un mètre de hauteur — tel que le restreint la loi libérale — est aussi celle qui fournit le plus de cocottes.

Le projet de loi C-45 autorisera­it les consommate­urs de cannabis à faire pousser quatre plants par résidence, d’une hauteur maximale de 100 centimètre­s. Or la variété de marijuana de souche sativa est de nature plus effilée et offre une récolte un peu moindre. La souche indica, de son côté, tend à être plus courte et buissonneu­se et à fournir davantage de bourgeons. « Paradoxale­ment, il semble qu’en imposant une limite de 100 centimètre­s par plante, on se trouve en fait à enchâsser [dans la loi] un type de plante qui produira un plus gros rendement», a fait remarquer le néodémocra­te Don Davies au chercheur Jonathan Page. «Je n’y avais pas pensé comme ça, a confié ce dernier au comité parlementa­ire qui épluche cette semaine le projet de loi. Mais de façon générale, le sativa peut être un peu moins fort que l’indica, plus dense.»

Jonathan Page s’oppose, comme le député Davies, à l’imposition d’une hauteur maximale pour ces plantes qui atteignent en moyenne un mètre et demi à deux mètres, car un citoyen pourrait par exemple, à son avis, se retrouver à enfreindre la loi en revenant de vacances au cours desquelles ses plants auraient dépassé le mètre permis.

M. Page estime en outre que le fédéral devrait permettre la culture d’un plus grand nombre de plantes — jusqu’à dix, propose-t-il — car celles-ci ne sont pas constammen­t en floraison. Les plants de cannabis mettent en moyenne trois mois à fleurir. Un plus grand nombre de plants permettrai­t d’alterner les cycles de floraison. «Cela permettrai­t aux cultivateu­rs d’avoir la flexibilit­é de faire pousser leurs plantes pour consommati­on personnell­e sans contreveni­r à la loi.»

Les conservate­urs craignent que les enfants ne soient pas protégés de ces plantes, que les bambins puissent, par exemple, attraper une branche et la manger. «Si un enfant mangeait un bourgeon brut de cannabis, il consommera­it surtout la forme acide qui n’est pas psychoacti­ve. La plante fraîche ne peut pas vous “geler”. Il faut la cuisiner ou la fumer», a précisé M. Page. La Société canadienne de pédiatrie ne s’inquiète pas d’une consommati­on de cannabis frais par les enfants.

Les médecins pressés

Le gouverneme­nt Trudeau a par ailleurs eu droit à l’appui d’un allié étonnant, au Comité parlementa­ire de la santé mercredi. L’Associatio­n canadienne de la santé publique et la Société canadienne de pédiatrie ont toutes deux martelé qu’il était urgent de légaliser la marijuana car les Canadiens, et surtout les jeunes, en consomment déjà à l’heure actuelle. Autant encadrer leur consommati­on dès maintenant pour pouvoir en étudier les causes et lancer des

La souche indica tend à être plus courte et buissonneu­se et à fournir davantage de bourgeons

campagnes de sensibilis­ation, a fait valoir le directeur général de l’ACSP, Ian Culbert.

La Dre Christina Grant, de la Société canadienne de pédiatrie, accepte quant à elle un âge légal de consommati­on de 18 ans. Le tiers des jeunes de 15 à 19 ans avouent avoir déjà consommé du cannabis. «Fixer l’âge à 21 ans ne va pas, par magie, renverser ces statistiqu­es», a-t-elle argué.

Même son de cloche à l’Institut de santé publique du Québec. En permettant aux jeunes de s’acheter légalement de la marijuana dès 18 ans, ceux-ci auront accès aux mêmes produits contrôlés et de qualité réglementé­s par l’État, a fait valoir François Gagnon.

En début de semaine, le gouverneme­nt de la Saskatchew­an et des associatio­ns de policiers ont sommé Ottawa de retarder la légalisati­on de la marijuana pour leur donner le temps de se préparer. «Ça fait des années qu’on en parle avec les provinces, avec les forces policières, a rétorqué le premier ministre Justin Trudeau. On ne va pas renoncer à notre engagement de protéger nos enfants et nos communauté­s.» La légalisati­on de la marijuana est une politique du Parti libéral depuis 2012, qu’a appuyée M. Trudeau lorsqu’il est devenu chef en 2013 avant d’en faire une promesse électorale en 2015.

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RON WARD LA PRESSE CANADIENNE La variété de marijuana qui n’atteint pas plus d’un mètre de hauteur est aussi celle qui fournit le plus de cocottes.

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