Le Devoir

Protocole de Montréal : 30 ans plus tard, les leçons à tirer

- SÉBASTIEN JODOIN Professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université McGill HAMISH VAN DER VEN Professeur adjoint à l’École d’environnem­ent ainsi qu’au Départemen­t de science politique de l’Université McGill

Voilà 30 ans, devant la progressio­n d’un trou découvert dans la couche d’ozone, les nations du monde entier sont passées aux actes afin d’adopter le Protocole de Montréal. Généraleme­nt considéré comme l’accord internatio­nal le plus efficace de l’histoire en matière d’environnem­ent, le Protocole a permis l’éliminatio­n graduelle de 98% des substances appauvriss­ant la couche d’ozone (SACO), tant et si bien que le «trou» résiduel qui surplombe l’Antarctiqu­e devrait se refermer d’ici quelques dizaines d’années.

À l’aube du 30e anniversai­re de la signature du Protocole de Montréal (le 16 septembre), il convient de se demander pourquoi cet accord a fonctionné et quelles leçons s’en dégagent quant aux mesures à prendre pour contrer les changement­s climatique­s.

Les États signataire­s du Protocole de Montréal n’ont pas accepté de s’engager du jour au lendemain : l’entente a été l’aboutissem­ent d’un long processus. En 1985, on fixait des objectifs mondiaux dans la Convention de Vienne, qui par ailleurs favorisait la recherche et les échanges au sujet des grandes orientatio­ns à adopter. Deux ans plus tard, les États se donnaient des cibles exécutoire­s en signant le Protocole de Montréal. Depuis, l’entente est en constante évolution, imposant à ses signataire­s des obligation­s de plus en plus ambitieuse­s.

Alors que des critiques très en vue, comme James Hansen, ancien scientifiq­ue de la NASA, considèren­t l’Accord de Paris sur le climat comme «un tissu de mots creux» en raison de sa démarche étapiste, le Protocole de Montréal nous rappelle qu’une simple main tendue peut conduire à un accord véritablem­ent contraigna­nt.

Soutenir les pays pauvres

De tous les pays en développem­ent, seul le Mexique a ratifié le Protocole en 1987. Or, la non-participat­ion de ces pays risquait fort de miner l’efficacité de l’entente. Les États ont donc créé un fonds dans le but de favoriser, par un soutien financier, l’adhésion des pays en développem­ent. Au cours des deux dernières décennies, 147 des 196 parties au Protocole de Montréal ont reçu du financemen­t de ce fonds, et tous les pays en développem­ent signataire­s se sont acquittés de leurs obligation­s.

Bien que les républicai­ns du Congrès américain et le Parti conservate­ur du Canada se soient faroucheme­nt opposés à ce qu’on «fasse la charité » aux pays en développem­ent par des mécanismes tels que le Fonds vert pour le climat, le Protocole de Montréal nous rappelle que les transferts financiers sont essentiels à la mise en oeuvre d’accords sur l’environnem­ent dans les pays démunis.

Rallier les entreprise­s

Aux États-Unis, de nombreux fabricants de chlorofluo­rocarbones (CFC) se sont d’abord opposés au Protocole de Montréal. Les entreprise­s soutenaien­t que les preuves scientifiq­ues sur l’appauvriss­ement de la couche d’ozone étaient trop incertaine­s pour justifier l’interventi­on du législateu­r, ajoutant que les solutions de rechange aux CFC étaient limitées et coûteuses. Après l’adoption du Protocole, l’industrie a fait volte-face aux ÉtatsUnis. Redoutant que le gouverneme­nt légifère et voulant se ménager un atout concurrent­iel, des entreprise­s comme Dupont se sont ralliées au Protocole de Montréal et ont même fait pression auprès du gouverneme­nt Bush pour qu’il ratifie l’accord.

Jusqu’à maintenant, les entreprise­s reposant sur les combustibl­es fossiles se montrent plus réfractair­es au changement. Au lieu d’attendre qu’elles fassent les premiers pas, les États devraient prendre les devants en formant des coalitions de parties prenantes qui ont intérêt à agir avec fermeté contre les changement­s climatique­s. Cela signifie augmenter les subvention­s dirigées vers les sources d’énergie renouvelab­les, établir une juste tarificati­on du carbone et cesser de subvention­ner les combustibl­es fossiles. À court terme, il pourrait y avoir un prix politique à payer. Pour que de telles mesures voient le

« Le Protocole de Montréal démontre que la patience, la générosité et l’empathie peuvent triompher des grands » défis environnem­entaux, pour peu qu’on trouve les bons mots et les bonnes images

jour, des politicien­s intègres et visionnair­es devront donc tenir le gouvernail.

Livrer un message cohérent et percutant

À la fin des années 1980, scientifiq­ues et militants se sont faits les porte-étendards d’un message percutant sur l’appauvriss­ement de la couche d’ozone, qui a trouvé écho auprès du grand public et mené à la signature du Protocole de Montréal. Ce message comportait deux volets: la métaphore du «trou dans la couche d’ozone» et le risque de cancer de la peau qui en découlait.

Les preuves scientifiq­ues sur les répercussi­ons des changement­s climatique­s sont légion. Pourtant, les études montrent que, pour éveiller les conscience­s, les mots et les images sont plus efficaces que les graphiques et les statistiqu­es. Dès lors, peut-être pourrait-on s’en remettre davantage aux images et aux récits des personnes touchées par les changement­s climatique­s. Si les avalanches de données les laissent de marbre, les climatosce­ptiques seront peut-être davantage interpellé­s par des récits faisant appel à leur empathie.

Soit, l’appauvriss­ement de la couche d’ozone ne constitue pas un problème aussi complexe que les changement­s climatique­s. En effet, les combustibl­es fossiles pèsent beaucoup plus lourd dans l’économie mondiale que les CFC. Quoi qu’il en soit, le Protocole de Montréal démontre que la patience, la générosité et l’empathie peuvent triompher des grands défis environnem­entaux, pour peu qu’on trouve les bons mots et les bonnes images.

 ?? PABLO MARTINEZ MONSIVAIS ASSOCIATED PRESS ?? Des manifestan­ts protestent à Washington contre les politiques environnem­entales du gouverneme­nt Trump.
PABLO MARTINEZ MONSIVAIS ASSOCIATED PRESS Des manifestan­ts protestent à Washington contre les politiques environnem­entales du gouverneme­nt Trump.

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