Le Devoir

Le conseil municipal, un club de l’âge d’or ?

Portrait d’un palier de gouverneme­nt qui peine à se renouveler

- ISABELLE PORTER à Québec

Au Québec, les deux tiers des maires ont plus de 55 ans et la proportion des plus de 65 ans a doublé depuis 2005. Les efforts pour attirer des jeunes en politique municipale sontils condamnés à l’échec?

«De plus en plus, c’est juste des gens à la retraite qui vont être capables de se présenter aux postes de maire », avance le maire de Saint-Siméon, dans la baie des Chaleurs, Jean-Guy Poirier.

Âgé de 81 ans, le doyen des maires du Québec quitte la politique cette année après 40 ans passés au pouvoir.

Des analyses récentes démontrent que la proportion des 65 ans et plus est passée de 12,5% à 26,2% entre les scrutins de 2005 et 2013. « Autant pour les gens qui se présentent que pour être élus, ça reste majoritair­ement des hommes, surtout de 55 ans et plus», explique Jérôme Couture, chercheur au Départemen­t de science politique de l’Université Laval. «La proportion de conseiller­s et surtout de maires qui ont 65 ans et plus augmente assez fortement.»

Dans les petites villes, cela s’explique entre autres par la faible rémunérati­on des élus, avance l’ancien maire des Méchins, Jean-Sébastien Barriault, 37 ans. «Moi, par exemple, pour gérer un budget de 3 millions de dollars, je gagnais 6000$ par année.»

Pour payer ses factures, il comptait sur un deuxième emploi, à la Municipali­té régionale de comté (MRC) voisine. Or le contrat a pris fin. Faute d’un revenu décent, il a fini par déménager à Montréal. « Si j’avais eu la chance d’avoir un meilleur salaire, c’est sûr que je serais demeuré là. J’aimais vraiment beaucoup défendre les intérêts de mon milieu.»

Ce problème ne touche pas les grandes villes comme Montréal et Québec, dont les maires gagnent plus de 150 000 $ par année. Mais sur les quelque 1100 municipali­tés recensées au Québec, pas moins de 700 comptent moins de 2000 habitants.

«Il n’y a pas eu beaucoup d’assemblées générales du Congrès où cet enjeu-là n’a pas été abordé », explique le président sortant de la Fédération québécoise des municipali­tés (FQM), Richard Lehoux, 61 ans. Lui-même a pu demeurer longtemps en poste à la mairie de Saint-Elzéar parce que son frère et son épouse prenaient soin de la ferme familiale, en Beauce.

La loi permet aux municipali­tés d’augmenter les salaires des élus, mais beaucoup hésitent à le faire. «C’est difficile à défendre parce que les taxes sont déjà très élevées, témoigne Jean-Sébastien Barriault. Les gens ne comprennen­t pas toujours et je les comprends aussi. Il y a des limites à payer.»

Le projet de loi no 122, adopté avant l’été, devrait par contre leur faciliter la tâche, explique-ton à l’Union des municipali­tés du Québec (UMQ). Mais d’autres facteurs contribuen­t à désintéres­ser les jeunes de la politique municipale.

«Les

jeunes aujourd’hui, ils sont beaucoup moins accrochés à la politique » provincial­e, fédérale et municipale Jean-Guy Poirier, maire de Saint-Simon «C’est plus demandant que par le passé et on sait que la plupart du temps, plein» c’est n’est pas un emploi à temps Jérôme Couture, politologu­e

Mères et pères à la mairie

La fonction requiert de plus en plus de temps, note Jérôme Couture, qui a déjà été conseiller municipal dans une autre vie. « C’est plus demandant que par le passé et on sait que, la plupart du temps, ce n’est pas un emploi à temps plein », dit-il. Les multiples réunions qui se déroulent souvent le soir n’ont pas la cote chez les jeunes parents, confirme le maire de Saint-Siméon. «La vie familiale devient très difficile. Il y a de jeunes femmes qui ont quitté mon conseil municipal à cause de ça», dit Jean-Guy Poirier.

En 2015, l’UMQ avait proposé au gouverneme­nt de tenir compte de la fonction d’élu dans le Régime québécois d’assurance parentale. On suggérait aussi de modifier la Loi sur les élections pour limiter l’impact d’une absence aux séances du conseil en cas de naissance ou d’adoption.

Le reste des recommanda­tions portait toutefois sur l’éducation des jeunes et la sensibilis­ation. Comme quoi, c’est aussi une question de mentalité. « Les jeunes aujourd’hui, ils sont beaucoup moins accrochés à la politique provincial­e, fédérale et municipale, note le maire sortant de Saint-Simon. Ils ont d’autres choses à faire. Ce sont des sportifs, ils ont beaucoup d’autres activités. Ils ont d’autres choses plus valorisant­es à faire et je ne les blâme pas. »

Reste à savoir si ce manque de diversité a un impact sur le taux de participat­ion. On n’en a pas la preuve, précise Jérôme Couture. «Les gens aiment voter pour les gens qui leur ressemblen­t.»

40 ans sans opposants

On sait aussi que les gens votent davantage lorsque plusieurs candidats s’affrontent. Mais le désintérêt pour la chose publique au niveau municipal se traduit par un manque de compétitio­n: en 2013, 47% des maires ont été élus sans opposition; chez les conseiller­s, le taux d’élus par acclamatio­n était de 56 %.

Ainsi, le maire de Saint-Simon n’a pas eu à défendre son poste… depuis 1977.

Mais si on lui demande si cela n’aurait pas été plus sain qu’il y ait plus de compétitio­n, il rétorque que les campagnes électorale­s «ne sont jamais faciles dans les petites municipali­tés». «Quand t’as une population de 2000 et moins, tout le monde se connaît. Les gens sont tous parents, voisins.» Les campagnes électorale­s, ajoute-t-il, créent « des divisions », des « déchirures qui font mal».

Mandats limités?

Le phénomène des mandats à répétition ne touche pas que les petits villages. On n’a qu’à penser à Saguenay, où le maire Jean Tremblay a cumulé cinq mandats, ou encore au cas du maire de Laval, Gilles Vaillancou­rt, qui en a fait six.

D’ailleurs, quand les scandales de collusion ont éclaté, il y a quelques années, cette forme de monopole sur la direction de certaines villes avait été montrée du doigt pour expliquer certains abus.

Pauline Marois, alors chef de l’opposition, avait suggéré en 2010 de limiter à trois le nombre de mandats des maires, une propositio­n qui avait été rejetée de façon quasi unanime dans le monde municipal.

Le chercheur Jérôme Couture estime pour sa part que cela pourrait avoir des effets pervers. «En faisant ça, on annule un peu l’effet des élections. Les élus sont censés être réactifs aux préférence­s de la population dans l’objectif d’être réélus, dit-il. Il faudrait plutôt focaliser sur la compétitiv­ité des élections. Surtout se concentrer sur la création de partis politiques dans les grandes villes.»

À défaut d’une solution magique, le monde municipal multiplie dès lors les campagnes pour encourager les jeunes à se présenter et… briser l’image de «mononcle» qui lui colle à la peau.

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