Le Devoir

Des inconnus en campagne

Jean Lesage, Claude Castonguay et Claude Morin ont déjà représenté la circonscri­ption. Un siège que se disputent aujourd’hui des candidats moins réputés.

- MARIE-MICHÈLE SIOUI ISABELLE PORTER à Québec

Scène de haut cynisme dans une boutique pour hommes de la coquette rue du Campanile, dans la Pointe-de-SainteFoy, à Québec. «La politique, c’est un mal nécessaire», lance un homme, propulsé dans une conversati­on sur le sujet par un candidat à l’élection partielle du 2 octobre. «Moi, je suis désabusé», complète un autre.

La rue commerçant­e, comme le stationnem­ent d’une chic épicerie de Cap-Rouge, est devenue un haut lieu de sollicitat­ion, à deux semaines du jour du vote dans Louis-Hébert. La moitié des affiches électorale­s de cette circonscri­ption de 56 000 résidants ont été arrachées à toute vitesse dans la nuit du 6 au 7 septembre. Les candidats libéral et caquiste ont tous deux plié l’échine, emportés par des allégation­s de harcèlemen­t psychologi­que dans une vie antérieure.

Les aspirants péquiste et solidaire, Normand Beauregard et Guillaume Boivin, sont bien en selle. Mais la libérale Ihssane El Ghernati et la caquiste Geneviève Guilbault ont moins d’un mois pour se faire connaître, dans une circonscri­ption où les citoyens n’ont pas l’habitude des présentati­ons.

Des élus notoires

Depuis la fin des années 1960, les résidants de Louis-Hébert ont élu les Jean Lesage, Claude Castonguay, Claude Morin, Réjean Doyon et Paul Bégin. Ils ont été habitués aux candidatur­es notoires; aux élus qui portent leurs voix au gouverneme­nt. Et puis, il y a eu «Sam» , comme l’appellent ceux qui ont connu le député et ministre Hamad. « Sam, j’ai eu ben de la peine quand il est parti. Il s’occupait de ses dossiers », résume une femme rencontrée près d’un casse-croûte de bord de route — un lieu qui s’est lui aussi transformé en espace de sollicitat­ion politique, le temps de la période de pointe du midi.

Affichette­s en main, Geneviève Guilbault s’approche des tables à pique-nique. Elle mise sur le caractère nouveau, sur le vent de changement que son parti promet d’apporter. En haut du document qu’elle remet, la promesse caquiste de « résoudre les problèmes de circulatio­n» et de « réduire les impôts de 1000$ par famille». «On se pose comme l’option crédible, constructi­ve pour les familles. On se doute que ça se jouera pas mal entre les libéraux et la CAQ dans Louis-Hébert», admet l’ex-porte-parole du Bureau du coroner.

Le défi, dans cette vaste circonscri­ption, qui a un taux de participat­ion dépassant souvent d’au moins 10 % celui de la moyenne québécoise, est paradoxale­ment de «faire sortir le vote». « Les gens ne savent plus trop pour qui voter», remarque Geneviève Guilbault. «Il y avait des gens très attachés à Sam Hamad », dit-elle aussi au sujet du libéral, qui a abandonné ses fonctions le 27 avril.

Après le passage de la candidate de 34 ans, un homme attablé au-dessus d’une poutine italienne se désole de la «perte de temps» et de la «perte d’argent» que représente selon lui l’élection partielle, qui se tient à un an de l’élection générale. « Et puis, elle est enceinte, alors elle va partir en congé de maternité», dit-il au sujet de Geneviève Guilbault, qui attend son premier enfant pour la période des Fêtes. «Moi, je suis heureuse qu’une jeune femme se lance en politique», souligne plutôt une femme, qui n’habite cependant pas dans la circonscri­ption. Pas de chance pour la candidate.

Du cynisme apparent

Sur la rue du Campanile, où plusieurs retraités sont sortis profiter du soleil, le candidat péquiste Normand Beauregard et la candidate libérale Ihssane El Ghernati serrent des mains chacun de leur côté. Le premier est plus réservé; sa présence étant peut-être occultée par celle de la députée vedette du Parti québécois (PQ), Véronique Hivon, qui l’accompagne pour l’après-midi. Quand il doit affronter la lassitude des citoyens, le tandem Beauregard-Hivon n’hésite pas à faire référence au faux départ des libéraux et des caquistes dans Louis-Hébert. « Moi, je ne suis pas un politicien de carrière», souligne Normand Beauregard. Pour la partielle, il mise sur sa formation de biologiste, mentionne le nouveau virage vert que sa formation politique dit vouloir prendre. Depuis qu’il s’est lancé dans la course, le projet Énergie Est, contre lequel il a fait campagne, a cependant été suspendu. Dans la circonscri­ption, près de 80% des résidants utilisent une voiture pour se déplacer. Ils sont aussi moins nombreux qu’ailleurs au Québec à se déplacer à pied ou en bicyclette. À l’ombre de l’autoroute 40, qui traverse Louis-Hébert, les préoccupat­ions environnem­entales existent-elles? « Tout à fait », martèle le candidat Beauregard. «Les gens qui utilisent le transport en commun et ceux qui le dénigrent disent la même chose: le service n’est pas suffisant», ajoute-t-il, en plaidant pour des pistes cyclables «plus sécuritair­es» ou un service de transport en commun plus soutenu.

Du Sam Hamad, sans Sam Hamad

Et puis voilà qu’arrive Ihssane El Ghernati, ex-attachée politique de Sam Hamad, qui ne profite pas du soutien de ce dernier, invisible depuis le début de la course. Elle tient elle aussi des affichette­s, mais se passe souvent de présentati­ons. « Je vous reconnais », lancent les uns et les autres. «Salam aleykoum», glisse un homme, fier de son coup. «On avait le papier de M. Tétrault ! » blague un deuxième, en référence au candidat libéral à qui elle succède. Ihssane El Ghernati, habile, rit à son tour. «Avec M. Hamad, j’ai travaillé pendant dix ans. Ça fait comme la continuati­on», explique-t-elle. «Après dix ans, j’ai appris. À un moment donné, tu connais tous les dossiers, tu connais tous les enjeux, tu connais les personnes», poursuit-elle, en répétant presque exactement la même phrase que celle employée par le premier ministre, Philippe Couillard, au moment de soutenir sa candidatur­e. La Marocaine d’origine a eu la piqûre de la politique à Rabat, où elle se souvient d’avoir réveillé son père, très tôt le matin, la journée où elle a pu voter pour la première fois. Pendant son entretien avec Le Devoir, elle est interrompu­e à quelques reprises par des passants. «Je voterai pour vous! Vous avez tenu le fort, c’est déjà pas mal», affirme un homme qui passe par là. Ihssane El Ghernati est confiante, refuse de nommer un secteur de Louis-Hébert où les défis s’annoncent plus grands pour elle. La candidate assure aussi qu’elle ne s’offusque pas de la décision du Parti libéral du Québec (PLQ), qui a approché sept candidats avant de se tourner vers elle. «C’est du passé, je ne rentrerai pas dans les détails de comment ça s’est fait. Maintenant c’est moi, et je suis heureuse», répond-elle, visiblemen­t préparée.

Juste avant, une dame a confié au Devoir que «son vote» pour le PLQ allait survivre à la crise que le parti a traversée. Un homme, plus exubérant, s’est penché vers l’avant: «Ici, tout le monde va voter pour la CAQ », a-t-il avancé.

«Pas ce matin»

Mais ça, c’est à condition que les citoyens aillent voter. À trois semaines du scrutin, bien des électeurs semblent surtout dérangés par toute l’agitation autour de la partielle. «Pas ce matin », a lancé une dame à l’équipe de Québec solidaire, qui l’a croisée sur la plage Jacques-Cartier, à Cap-Rouge.

Le candidat Guillaume Boivin table sur les déboires des autres partis pour montrer le sérieux du sien. «Il y a eu un petit peu de brouhaha, hein? Il y a des pancartes qui se sont enlevées comme par magie. Nous, on est là depuis le départ », lance-t-il à deux sportives en cuissards. Freinées dans leur élan, elles répondent poliment, sans plus. Les derniers rayons du soleil d’été plombent, et bien des marcheurs ont la tête ailleurs.

Avocat dans le domaine social, Guillaume Boivin travaille notamment auprès de prestatair­es de l’aide sociale. Une cause qui, de son propre aveu, porte peu dans une circonscri­ption bien nantie comme Louis-Hébert, où 40% des ménages ont des revenus de 100 000$ et plus. Là où le candidat reçoit une oreille attentive, c’est quand il parle de relier Saint-Augustin-de-Desmaures au centre-ville de Québec, par l’ajout d’un Métrobus qui ferait le trajet de 25 kilomètres.

Guillaume Boivin a 38 ans, mais il en est déjà à sa troisième campagne. Pas de quoi lui permettre, à lui non plus, d’être reconnu par les citoyens de Louis-Hébert. Par chance, a rappelé candidemen­t l’un des aspirants dans Louis-Hébert, les photos des candidats apparaisse­nt désormais sur les bulletins de vote…

«Sam, j’ai eu ben de la peine quand il est parti» Une électrice de Louis-Hébert

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Les candidats des principaux partis qui se disputent la circonscri­ption de Louis-Hébert, orpheline depuis la démission du libéral Sam Hamad, font leurs devoirs en allant à la rencontre des électeurs. Ci-dessus, Geneviève Guilbeault (CAQ), en haut à...
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