Après la course, le vote peut commencer
C’est lundi que les 124 000 membres en règle du Nouveau Parti démocratique pourront commencer à voter pour leur prochain chef. Ils disposent de deux semaines pour sélectionner la personne qu’ils verraient le mieux donner la réplique à Justin Trudeau. La question qui occupe tous les esprits est celle de savoir si un des quatre candidats en lice réussira à obtenir les 50% de voix plus une requises pour remporter la palme dès le premier tour.
Selon tous les indicateurs, le député provincial ontarien Jagmeet Singh est en avance dans la course. Il se targue d’être celui qui a recruté le plus de nouveaux membres (47 000) et il a aussi récolté le plus de fonds au cours des six premiers mois de l’année, soit 353 944$ contre 234 240$ pour Charlie Angus, 135 645$ pour Niki Ashton et 104 205 $ pour Guy Caron.
Au chapitre des appuis d’envergure, M. Singh semble également en tête. En date de vendredi après-midi, un total de 31 députés (actuels ou anciens, fédéraux ou provinciaux) l’appuyaient, dont 8 élus à Ottawa et 19 députés provinciaux.
Charlie Angus arrive second avec 28 appuis. Il a obtenu l’aval de huit députés provinciaux, mais de seulement deux députés fédéraux, soit ses voisines de circonscription Christine Moore (Abitibi-Témiscamingue) et Carole Hughes (Algoma-Manitoulin-Kapuskasing). L’actuelle chef néodémocrate au Yukon, Liz Hanson, l’appuie, tout comme l’ancien chef de l’Alberta Ray Martin.
Le Québécois Guy Caron a obtenu jusqu’à présent 22 de ces appuis d’envergure. Il peut compter sur huit de ses collègues au caucus et sur deux députés provinciaux. Il se targue aussi d’avoir rallié l’ancienne chef du parti fédéral, Alexa McDonough, tout comme l’ancien chef du NPD ontarien, Howard Hampton. Quant à Niki Ashton, elle a recruté 11 gros noms, dont cinq députés fédéraux et deux provinciaux.
Si, à la lumière de ces statistiques, il est de bon ton dans les coulisses politiques de prédire une victoire facile à Jagmeet Singh, un récent sondage jette un éclairage un peu différent. La firme Mainstreet Research a sondé début septembre quelque 2009 personnes qui soit ont fait un don à un des candidats dans la course, soit apparaissent sur les listes de membres des ailes provinciales du NPD (les membres provinciaux sont automatiquement membres au fédéral). Le sondage a été mené en anglais, en français et en punjabi.
Le résultat est des plus serrés: M. Singh arrive en tête, avec 27%, mais il est talonné par Charlie Angus, à 25%. Niki Ashton récolte 13% des intentions de vote tandis que Guy Caron ferme la marche avec 10% des appuis. Mais pas moins d’un répondant sur quatre a dit ne pas avoir pris de décision. Avec une marge d’erreur de 2%, 19 fois sur 20, cela signifie que MM. Singh et Angus sont à égalité statistique. Un stratège dans chacun des quatre camps a accepté de partager avec Le Devoir ses prédictions quant au déroulement de la course à condition de ne pas être nommé. D’entrée de jeu, personne ne prévoit une victoire au premier tour. L’enjeu devient donc de prévoir qui sera éliminé en premier et à qui ses supporteurs se rallieront.
Les résultats du premier tour seront dévoilés le 1er octobre prochain à Toronto. Si aucun candidat ne récolte 50% des voix, alors celui qui est arrivé dernier sera éliminé. Les militants disposeront ensuite d’une semaine pour voter à nouveau. C’est donc dire que même les candidats en tête peuvent perdre des appuis d’un tour à l’autre. Les résultats du second tour, si second tour il y a, seront rendus publics le 8 octobre, pendant le long week-end de l’Action de grâce, à Montréal.
Potentiel de croissance limité
Dans les camps de Charlie Angus, de Guy Caron et de Niki Ashton, la prédiction est la même: si Jagmeet Singh ne gagne pas au premier tour ou n’obtient pas au minimum 40 % du vote, il sera difficile pour lui de l’emporter. «Soit les gens sont 100% avec lui, soit ils sont contre. S’il ne passe pas au premier tour, ce sera difficile», confie l’un d’eux. Les trois stratèges tiennent le même discours : leurs militants choisissent rarement M. Singh comme second choix. Son potentiel de croissance est donc limité. Le sondage de Mainstreet Research tend à confirmer cette lecture: Jagmeet Singh ne serait le second choix que de 11% des répondants. En comparaison, M. Angus est le second choix de 25% des militants interrogés, Niki Ashton de 23 % et Guy Caron de 20 %.
Deux raisons sont évoquées pour expliquer cette tiédeur envers M. Singh. D’abord, on lui reproche une certaine arrogance d’« outsider » qui passe mal aux yeux de plusieurs militants
Personne ne prévoit une victoire au premier tour. L’enjeu devient donc de savoir qui sera éliminé en premier et à qui ses supporteurs se rallieront.
de longue date. Son refus, par exemple, de s’engager à se présenter lors de la prochaine élection fédérale même s’il n’est pas élu chef dérange. (L’Ontario se rend aux urnes au printemps et M. Singh pourrait décider de défendre son siège à Queen’s Park.) Ensuite, certains lui reprochent d’avoir manqué de clarté sur l’enjeu des pipelines.
Sans surprise, les camps Caron et Ashton prédisent chacun que l’autre terminera dernier et sera éliminé au premier tour. Et les deux pensent que les appuis de l’autre lui reviendront, de même que certains de ceux de M. Angus, et que ce sera suffisant pour se hisser au second rang et ainsi éviter le couperet du second tour. (Le camp Ashton confirme que ses militants cochent M. Caron comme second choix.) Le camp Angus, lui, pense que c’est Guy Caron qui sera le premier éliminé et que ses votes lui reviendront en grande majorité. L’équipe de M. Singh ne veut pas se prononcer.
Les adversaires de Charlie Angus aiment souligner à gros traits que seulement deux députés fédéraux l’appuient, ce qui est d’autant plus surprenant qu’il a déjà été président du caucus. Un président jouit généralement de l’affection des élus qui l’ont choisi. «Ça démontre qu’il interagit mal avec les autres », soutient-on.
Le clan Angus rétorque que cela s’explique par le contexte tumultueux pendant lequel il a assumé la présidence: juste après que Thomas Mulcair s’est fait montrer la porte par les militants, au printemps 2016. Dans la foulée de cette destitution, deux clans se sont formés au caucus: ceux (des Québécois en majorité) qui acceptaient la décision de M. Mulcair de rester en poste jusqu’à la sélection de son successeur, un an et demi plus tard, et ceux qui souhaitaient devancer son départ.
«Charlie a essayé de garder le parti uni et de faire le pont entre les deux clans. C’était un moment fâcheux pour être président du caucus. Il devait travailler beaucoup pour s’assurer que tout le monde marche au pas, mais sans avoir l’appui d’un chef fort.» Des flétrissures en ont résulté…
Des rebondissements
La fin de cette longue course au leadership a été marquée par quelques rebondissements. D’abord, il y a eu cette vidéo où une femme enragée prend à parti Jagmeet Singh pendant un événement public et l’accuse d’appuyer la sharia et les Frères musulmans. M. Singh lui répond en répétant «amour et courage». «Nous ne voulons pas que la haine bousille un événement positif », finit-il par dire, sans jamais vraiment s’adresser à la dame qui vocifère à quelques centimètres de son visage. La vidéo a été vue plus de 40 millions de fois. M. Singh a expliqué par la suite qu’il n’avait pas voulu détromper la dame (il est sikh, et non musulman) car, pour lui, cela aurait presque légitimé l’islamophobie. Plusieurs militants ont été fiers de sa réaction et pensent que cela l’aidera dans la course.
Il y a aussi eu la décision d’Alexandre Boulerice de rester neutre dans la course. Il avait au départ appuyé Peter Julian, mais M. Julian s’est retiré de la course et s’est depuis rangé derrière Jagmeet Singh. Dans les coulisses, on soutient que M. Boulerice n’avait plus intérêt à se mouiller. Il n’appuie pas M. Singh alors que c’est lui qui a le plus de chances de gagner. De plus, la base électorale du député de Rosemont-La Petite-Patrie (qu’on appelle parfois la «ligne orange», du nom de la ligne de métro le long de laquelle elle se masse et qui vote Projet Montréal au municipal, Québec solidaire au provincial et NPD au fédéral) aurait un faible pour Niki Ashton.
Le député Pierre Nantel a donné un coup de gueule en déclarant au Devoir que, si le prochain chef de sa formation ne respectait pas le droit de l’Assemblée nationale à Québec de voter les lois de son choix, notamment en matière de laïcité, il se réserverait le droit de siéger comme indépendant. Quant à Mme Ashton, elle n’a pas pu prendre part en personne au dernier débat de Vancouver car elle est enceinte de huit mois (de jumeaux, de surcroît) et qu’elle ne peut plus prendre l’avion.
Ce dimanche, les quatre candidats disposeront de 20 minutes chacun pour débiter une dernière fois avant le vote leur boniment aux militants réunis à Hamilton. Tout est possible: discours, vidéos, musique, son et lumière. Certaines campagnes promettent déjà d’en mettre «plein la vue».