Le Devoir

Guy Taillefer sur l’abrogation du programme DACA par Trump

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Donald Trump, tout à coup apôtre de la collaborat­ion bipartisan­e ? Plutôt l’un des présidents américains les plus décousus que le pays ait jamais connus. L’homme n’a jamais été que dangereux depuis son arrivée à la Maison-Blanche. Voilà qu’il s’amende sur la question des «Dreamers» et qu’il pose un geste utile en pactisant avec les démocrates, par calcul et par intérêt. Les républicai­ns se déchirent? On s’en réjouit.

La vie politique américaine repose comme nulle autre sur l’art du marchandag­e. Et c’est nécessaire­ment sous cet angle qu’il faut en partie lire la communion d’esprit qui a réuni cette semaine le président Trump et les leaders du Parti démocrate autour d’un projet d’accord destiné à régularise­r, contre renforceme­nt d’un certain nombre de mesures de sécurité frontalièr­e, la situation des 800 000 sans-papiers arrivés enfants aux États-Unis. Une communion d’esprit qui est le signe que M. Trump a vite regretté d’avoir abrogé il y a dix jours le décret par lequel l’exprésiden­t Barack Obama avait mis ces «Dreamers» à l’abri de l’expulsion en leur permettant de vivre, de travailler et d’étudier légalement aux États-Unis. Et qu’il s’est vite rendu à l’évidence que la majorité républicai­ne au Congrès n’arriverait à rien dans les six mois qu’il lui avait impartis pour trouver une solution de rechange.

L’échec de la stratégie «d’abrogation et de remplaceme­nt» de la loi sur la santé (l’Obamacare) a laissé des traces. Il a montré à quel point il n’y a plus seulement deux, mais trois partis au Congrès, compte tenu de l’état de division dans lequel se trouvent les républicai­ns entre modérés et ultraconse­rvateurs.

D’où ce rapprochem­ent contre nature entre la Maison-Blanche et la minorité démocrate… M. Trump prend acte, du moins ponctuelle­ment, et se trouve donc à faire un pied de nez à son propre parti — si tant est que le Parti républicai­n est vraiment le sien. On ne peut pas oublier qu’il en est devenu l’année dernière le candidat à la présidence américaine contre la volonté absolue de l’establishm­ent du Grand Old Party. L’occasion est trop belle pour lui de lui rendre aujourd’hui la monnaie de sa pièce. M. Trump est son propre parti. Il est capable de tous les marchandag­es.

La stratégie pourrait faire des petits autour d’autres initiative­s législativ­es — ou non. À partir du moment où les démocrates s’entendent avec M. Trump et acceptent de l’appuyer en bloc, le président n’a plus besoin que d’une partie des voix républicai­nes pour obtenir une majorité au Sénat et à la Chambre des représenta­nts. Le débat sur les « Dreamers » va tester cette approche. Qu’elle fonctionne, et d’autres accords viendront.

Négociant avec l’ennemi, le président s’est attiré les foudres des ultras, qui l’accusent d’édulcorer ses positions anti-immigratio­n et de reculer sur la promesse clé de sa campagne présidenti­elle: la constructi­on du mur à la frontière mexicaine.

Sa base électorale s’en trouve «irréparabl­ement détruite», a prophétisé Steve King, un élu de l’Iowa aux positions férocement anti-immigrante­s. «Si nous n’obtenons pas le mur, alors je préférerai­s avoir le président Pence», a réagi l’imbuvable commentatr­ice Ann Coulter.

Si, pour l’heure, M. Trump a choisi de contourner ces voix hystérique­s qui voient en lui leur sauveur, le fait est pourtant qu’il aura amplement le temps de renouer avec ses positions anti-immigratio­n les plus virulentes. Il n’a pas fini de nous faire peur. Ses sensibilit­és ultranatio­nalistes sont épidermiqu­es et ses penchants pour l’extrême droite, indécrotta­bles. Sa compassion pour les « Dreamers » est l’exception qui confirme la règle.

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GUY TAILLEFER

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