Le Devoir

Michel David à propos de la Commission sur le racisme

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Selon le premier ministre Couillard, il est nécessaire de tenir à huis clos les audiences de la Commission sur le racisme et la discrimina­tion systémique­s, sans quoi les gens qui en sont victimes auraient peur de témoigner publiqueme­nt. «Ils craignent d’être vus et entendus», a-t-il déclaré.

L’absence des médias lors des consultati­ons qui seront tenues aux quatre coins du Québec favorisera «un climat propice à la libre expression», explique-t-on au ministère de l’Immigratio­n, de la Diversité et de l’Inclusion. Pour la suite des choses, «il appartiend­ra aux organismes d’évaluer l’opportunit­é d’inviter les médias ».

Pourtant, dans l’Ontario voisin, auquel M. Couillard se plaît fréquemmen­t à nous comparer, on a tenu dans la plus complète transparen­ce une série d’assemblées publiques dans 10 villes, auxquelles 2500 personnes ont participé entre juillet et décembre 2016. Cela a mené, au printemps dernier, à l’adoption d’une loi et d’un plan triennal qui vise à « identifier et à combattre le racisme systémique dans les politiques, les programmes et les services et à travailler effectivem­ent à promouvoir l’équité raciale pour tous ».

L’organisati­on de cette consultati­on n’avait pas été sous-traitée. C’est la Direction générale de l’action contre le racisme, qui relève directemen­t du gouverneme­nt ontarien, qui en était le maître d’oeuvre. Le gouverneme­nt Couillard en a plutôt donné le mandat à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui a elle-même confié à des organismes sans but lucratif (OSBL), encore non identifiée­s et à l’objectivit­é incertaine, le soin de superviser les audiences.

En Ontario, personne ne s’est plaint de la présence des médias. Toutes les audiences ont même été diffusées en direct sur le Web. Chaque intervenan­t était invité à s’identifier et à préciser quel organisme il représenta­it, si c’était le cas. Le choix de ceux qui ne voulaient pas être filmés était cependant respecté. Une transcript­ion intégrale des échanges, avec traduction en français, est également disponible sur le site de la Direction générale, mais le nom des intervenan­ts n’y apparaissa­it pas.

À leur lecture, il est clair que la présence des médias n’a empêché personne de se vider le coeur. Le climat a souvent été tendu. À Toronto, un intervenan­t a lancé au maire, John Tory, qui assistait à la rencontre: «Votre police est raciste.» La première ministre Wynne, qui était également présente pour cette première assemblée, s’est fait dire: «On voit en Ontario des femmes musulmanes attaquées dans les rues, des mosquées qui sont vandalisée­s, les gens sont attaqués à l’école et au travail. »

À Hamilton, on a dénoncé « une discrimina­tion de couleur qui existe depuis très longtemps dans les services de pompiers». Un intervenan­t de confession sikhe a lancé au ministre délégué à l’Action contre le racisme, Michael Coteau: «Il y a des gens racistes dans le gouverneme­nt même.»

Pourquoi ce qui était bon pour l’Ontario serait-il mauvais pour le Québec? M. Couillard semble croire que les Québécois sont plus xénophobes que leurs voisins et qu’ils vont lyncher ces ingrats qui oseront critiquer leur société d’accueil. Le premier ministre donne souvent l’impression de s’être donné pour mission de nous protéger contre nous-mêmes, parfois même de suggérer qu’il faudrait renoncer à être nous-mêmes.

Des audiences publiques peuvent sans aucun doute provoquer des réactions négatives, mais l’objectif est précisémen­t de favoriser une prise de conscience, et cela peut être douloureux. Bien entendu, si M. Couillard a d’autres motivation­s à l’aube de cette année électorale, c’est une autre affaire.

Depuis le début, le PQ et la CAQ présentent cette commission comme un procès de la société québécoise. Le gouverneme­nt voudrait accréditer cette perception qu’il ne procéderai­t pas autrement. Dans une société de droit, on ne juge cependant pas un accusé in absentia.

Des voix s’élèvent de toutes parts pour demander au premier ministre d’annuler l’opération. Même Québec solidaire, qui a appuyé l’idée d’une telle commission dès le départ, estime maintenant que sa crédibilit­é est « sérieuseme­nt entachée» et réclame plus de transparen­ce.

On a déjà vu des gouverneme­nts faire marche arrière après s’être longtemps entêtés, mais M. Couillard a la tête particuliè­rement dure. Pendant deux ans, il est resté sourd à tous les appels le suppliant de ralentir le rythme des compressio­ns budgétaire­s, dont les effets négatifs étaient pourtant évidents. Le premier ministre est sans doute trop orgueilleu­x pour renoncer purement et simplement à sa commission, mais personne ne lui reprochera­it d’avoir le bon sens de corriger les incongruit­és qui risquent d’en faire une triste farce.

M. Couillard semble croire que les Québécois sont plus xénophobes que leurs voisins

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