Le Devoir

Ottawa doit revoir sa position sur les géants du numérique

- LUC FORTIN Ministre de la Culture et des Communicat­ions

J’ai pris connaissan­ce de la position du gouverneme­nt Trudeau en ce qui a trait aux nouvelles réalités numériques, et je partage l’inquiétude de nombreux intervenan­ts du milieu culturel québécois. D’importante­s mesures doivent être prises pour assurer l’équité entre les diffuseurs, et l’avenir de notre industrie culturelle.

Lorsque le gouverneme­nt du Québec s’est lancé dans le vaste chantier de renouvelle­ment de la politique culturelle, j’ai eu la chance d’être au coeur d’un processus de consultati­on qui allait me mener dans toutes les régions du Québec. Rapidement, nous avons dégagé des précieux témoignage­s certains consensus, notamment en ce qui a trait à l’importance de maintenir, voire de renforcer, le rôle que jouent le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et la Société de développem­ent des entreprise­s culturelle­s (SODEC), des organismes créés dans le but d’apporter un soutien accru à nos créateurs et à nos entreprene­urs culturels. Il m’est aussi apparu évident qu’il fallait bâtir sur la politique culturelle de 1992; c’est ce que nous avons proposé avec le projet de Politique québécoise de la culture que j’ai rendu public au début de l’été et qui sera bonifié à la suite du forum tenu à Montréal la semaine dernière.

Ces consultati­ons sont déjà un grand succès, car la politique qui en découlera permettra de faire rayonner notre culture dans toutes les régions du Québec, au plus près des citoyens; qu’elle mettra la langue française au centre de la promotion et de la diffusion de notre culture et qu’elle permettra, à terme, une collaborat­ion renforcée entre la culture et l’éducation. Elle sera le projet d’une génération au bénéfice des Québécoise­s et des Québécois, des artistes profession­nels, sans oublier les travailleu­rs culturels.

Pour une équité fiscale et réglementa­ire

Un consensus s’est aussi rapidement dégagé des consultati­ons: l’importance, pour le Québec et pour le Canada, d’imposer aux grandes plateforme­s étrangères de diffusion de contenu numérique la perception des taxes déjà existantes — la TPS et la TVQ —, dans un souci d’équité avec les services similaires de portée québécoise. J’affirme aujourd’hui toute la déterminat­ion du gouverneme­nt du Québec dans ce dossier. Ce que certains ont appelé la «taxe Netflix», mais qui concerne aussi Spotify, iTunes et Amazon — pour ne nommer que ceux-là — n’est pas une nouvelle taxe pour les consommate­urs, et devrait être perçue comme un traitement équitable pour toutes les entreprise­s, qu’elles soient canadienne­s ou étrangères.

Évidemment, ce serait le début d’un long processus, qui ne se fera pas sans difficulté­s et qui doit passer par une concertati­on de tous les pays du G20. Tous les pays industrial­isés font face à cet enjeu.

Des associatio­ns nationales telles l’Associatio­n québécoise de la production médiatique (AQPM), l’Associatio­n québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) ou la Société canadienne des auteurs, compositeu­rs et éditeurs de musique (SOCAN) ont soulevé, à maintes reprises, la nécessité d’en arriver à un cheval de bataille commun avec le gouverneme­nt fédéral, pour l’équité et la justice en matière de diffusion numérique. Cette question est intimement liée aux difficulté­s que le numérique entraîne dans l’applicatio­n de la Loi sur le droit d’auteur et, notamment, aux répercussi­ons qui en découlent sur la juste rémunérati­on des créateurs.

En ce sens, les premières orientatio­ns de la politique culturelle canadienne annoncées par la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, nous paraissent inquiétant­es. C’est tout un secteur de l’économie québécoise, celui de la culture, que je représente fièrement, qui attend de connaître l’orientatio­n choisie par le fédéral. Les premiers signes indiquent que le gouverneme­nt canadien choisira de ne pas appliquer ces taxes. Il est important non seulement pour moi, mais aussi pour des milliers de travailleu­rs culturels, qu’Ottawa revoie sa position.

Dans le cas contraire, ce serait un bien mauvais signal à envoyer aux artisans de notre culture.

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