Le Devoir

Le militantis­me du coeur

- SIMON LAMBERT à Québec

BIENVEILLA­NCE Texte: Fanny Britt. Mise en scène: Marie-Hélène Gendreau. Avec Emmanuel Bédard, Lorraine Côté, Nadia Girard Eddahia, Eliot Laprise et Éric Leblanc. Une production de La Bordée, jusqu’au 7 octobre.

Pour l’ouverture de sa première saison à titre de directeur artistique de La Bordée, Michel Nadeau a choisi Bienveilla­nce de la multiforme Fanny Britt. Créée en 2012, la pièce avait été auréolée d’un Prix du Gouverneur général.

Parvenu ayant rompu avec ses racines, Gilles Jean est un avocat « à 600 piastres de l’heure » qui, au détour d’une cause à défendre en région, renouera avec son meilleur ami d’enfance (Eliot Laprise) et sa mère (Lorraine Côté), dans des circonstan­ces les opposant. Ce sera l’occasion de s’interroger sur son avarice et son humanité.

D’entrée de jeu, on est aspirés par la propositio­n, forte des images de Fanny Britt et de son brillant sens de la formule. Emmanuel Bédard s’avère un choix remarquabl­e, livrant le rôle principal avec ce qu’il faut de détachemen­t pour qu’on goûte au mieux tout l’esprit des répliques. Son jeu naturel sera le terreau d’une grande connivence, celle-ci étant favorisée par les apartés nombreux. Les adresses au public permettent de camper habilement le personnage de Gilles, cet homme qui a « moins un nom qu’une sonorité », hissant son histoire au niveau de la fable. La mise en bouche a de l’ampleur et nourrit les attentes.

Cette constructi­on narrative, de même qu’une certaine grosseur dans le trait des personnage­s, mettra cependant la table pour une fin décevante.

Morale triomphant­e, réalité desservie

Dès le milieu de la représenta­tion, au moment où les opposition­s entre les personnage­s se révèlent et commencent à jouer, les problèmes commencent aussi à poindre. On le ressentira notamment dans ces personnage­s unilatéral­ement bons. Le texte a à coeur de dessiner pour Gilles Jean un parcours moral, et bientôt les personnage­s secondaire­s, malgré la justesse des comédiens, apparaisse­nt dans leur fonction.

Problèmes aussi avec le dispositif narratif. Le sens des scènes, petit à petit, nous sera dérobé — Gilles Jean nous livrant, plus que son point de vue, la significat­ion même des scènes, là où celles-ci auraient pu parler. Le décor sobre, avec un talus rocheux à l’arrière et quelques pommes pour appuyer la symbolique, fait un travail en ce sens, reste que Bienveilla­nce galope vers un dénouement aux enjeux clairement articulés, mais peu ressentis.

Dans cette fin précipitée, difficile pour la mise en scène de Marie-Hélène Gendreau de ne pas se plier aux visées discursive­s du texte, le spectacle culminant dans une révélation pour Gilles Jean, doublée de musique grandiloqu­ente et de voix étirées. Cette apothéose nous laisse avec le sentiment de ce que la pièce appelait le « militantis­me du coeur», et dans le rets dans lequel elle se prend.

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NICOLA-FRANK VACHON Emmanuel Bédard livre le rôle principal avec ce qu’il faut de détachemen­t pour qu’on goûte au mieux tout l’esprit des répliques.

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