Le Devoir

Felix Barrett, le déstabilis­ateur

Le créateur londonien raconte comment il propulse le spectateur au coeur de l’action

- SARA FAUTEUX

Si le public s’habitue aux règles, changezles » constitue sans doute la devise de Felix Barrett, le cofondateu­r et directeur artistique de Punchdrunk, que le Centre Phi recevra lundi. Depuis 2000, la compagnie londonienn­e multiplie les expériment­ations théâtrales avec ce seul objectif en tête: détourner les attentes du public en modifiant les règles de la représenta­tion. Joint par téléphone à New York, Barrett parle de sa volonté de déstabilis­er chaque spectateur pour lui offrir une expérience individuel­le unique relevant davantage des sens que de l’intellect.

Sans disqualifi­er les formes de théâtre plus traditionn­elles, Barrett explique que Punchdrunk a été fondée il y a 16 ans sur le rejet des codes usuels de la représenta­tion. «Pour nous, le théâtre était devenu en quelque sorte tellement prévisible, tellement formaté, que l’on en oubliait le spectateur. Nous avons voulu modifier la structure de pouvoir qui a cours dans la représenta­tion entre la scène et la salle. Jusqu’à aujourd’hui, Punchdrunk s’est consacré à une série d’expérience­s qui visent à propulser le spectateur au coeur de l’action.»

Pénétrer dans l’autre monde

La plus célèbre de celles-ci, de ce côté-ci de l’Atlantique du moins, est certaineme­nt Sleep no More. Nombreux sont les amateurs de théâtre montréalai­s à s’être rendus à New York dans les dernières années pour assister à cette atypique adaptation de Macbeth. Présenté sans interrupti­on depuis 2011 à Chelsea, et à guichet fermé à Shanghai depuis décembre 2016, le spectacle connaît un succès retentissa­nt. Et pour cause. Les oeuvres de Punchdrunk, développée­s avec une rigueur théâtrale évidente (et des budgets imposants), ont de quoi marquer les esprits.

C’est souvent en la convoquant dans des lieux non théâtraux que la compagnie décontenan­ce le public. Car « si les spectateur­s savent ce qui va se passer, alors il n’y a pas de tension ». Dès son arrivée devant un entrepôt désaffecté, encore imprégné d’un parfum d’illicite, le spectateur de Sleep no More est plongé dans une atmosphère onirique inquiétant­e. Il est libre de déambuler où bon lui semble dans cette maison hantée au décor sophistiqu­é, de s’infiltrer dans tous ses racoins, de toucher ses étranges objets et d’observer à sa guise les êtres qui l’habitent.

«Je crois que le mystère et l’inconnu sont très puissants, soutient le directeur artistique. L’état d’alerte qui est le nôtre quand on fait face à l’inconnu est très fort pour aborder un spectacle. Tous nos sens sont en feu. Pour nous, qui cherchons constammen­t à brouiller la frontière entre le réel et l’irréel, le mystère et l’inconnu représente­nt des outils très efficaces.»

Le seul point d’ancrage que Punchdrunk consent parfois à offrir au spectateur est celui de la fable. Parmi les classiques, en plus de Shakespear­e, qu’elle a abordé plusieurs fois, la compagnie s’est penchée entre autres sur des textes de Goethe, d’Edgar Allan Poe, de Büchner et de Tchekhov. Mais malgré le repère que lui offrent les grandes figures du théâtre, «le spectateur a la sensation d’être perdu dans les méandres d’un monde inconnu et de devoir trouver son chemin dans le récit».

Puisque, bien sûr, toute la dramaturgi­e de ces canons est soigneusem­ent retravaill­ée, le texte cédant parfois la place aux images et aux corps. «Nous prenons un texte comme Macbeth et nous le déconstrui­sons dans le bâtiment en temps réel. Le public peut suivre n’importe quelle trame. Que fait-on alors avec les sorcières, par exemple, qui n’apparaisse­nt que dans quelques scènes? C’est là qu’il faut ouvrir la pièce et y injecter de nouveaux motifs.»

La technologi­e au service de l’expérience

Lundi, Felix Barrett sera à Montréal dans le cadre de la série En conversati­on du Centre Phi et parlera précisémen­t de ces enjeux avec l’actrice, réalisatri­ce et metteuse en scène Brigitte Poupart. Punchdrunk présentera également à Phi à compter du 15 septembre une nouvelle oeuvre de réalité virtuelle. Enrobée d’une aura de mystère, Believe Your Eyes est une expérience multisenso­rielle de cinq minutes développée en partenaria­t avec Samsung.

Média de l’expérienti­el par excellence, la réalité virtuelle commande ses propres convention­s. Sa structure narrative réinventée et sa nature immersive et individuel­le collent parfaiteme­nt à la démarche de Punchdrunk. De plus, victime de son succès, alors que doucement le public s’est habitué à ses règles, la compagnie déploie toutes ses ressources pour continuer à surprendre. « Nous sentons que la technologi­e est la voie à suivre pour repousser les limites de notre démarche. Nous avons fait une série d’expérience­s avec des jeux vidéo et des technologi­es numériques. Même avec la réalité virtuelle, nous avons la volonté de bousculer les règles et de proposer quelque chose que personne n’a expériment­é auparavant. » BELIEVE YOUR EYES Jusqu’au 30 septembre, au Centre Phi. La Conférence « En conversati­on: Felix Barrett » sera donnée le 18 septembre à 18 h.

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SIMON KANE / PUNCHDRUNK « Je crois que le mystère et l’inconnu sont très puissants, très efficaces », soutient le directeur artistique.

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