L’apparence d’un thème à Momenta
Sans fil conducteur fort, la biennale de l’image offre néanmoins quelques beaux tirs groupés
Le nouveau Mois de la photo à Montréal, rebaptisé Momenta, se livre comme une profession de foi. À travers la question « De quoi l’image est-elle le nom?», le commissaire invité Ami Barak prêche pour la fin de la récréation: ça suffit, dit-il, de voir les images comme des reproductions du monde réel. Elles sont des traductions, des versions « fantasmé[es] et sublimé[es] de la réalité ».
La mission derrière le programme de cette première «biennale de l’image» est noble. Sur le terrain, elle se traduit cependant de manière confuse — la question initiale amène de multiples réponses. Sans véritable trait fort qui la traverse du début à la fin, l’exposition centrale semble vouloir faire la leçon tout en manquant d’originalité.
Séparer cette expo entre la Galerie de l’UQAM et le centre Vox, deux lieux séparés par un kilomètre de distance, était un beau risque. Le pari s’avère un obstacle. Prise par sections, la Momenta d’Ami Barak possède néanmoins ses temps forts.
À une époque où les réalités identitaires sont de plus en plus discutées, bien que pas toujours avec ouverture et compréhension, il allait de soi qu’une expo autour des apparences se pencherait sur le sujet.
Le commissaire aborde la question des genres d’abord avec les portraits de travestis dénudés de Luis Arturo Aguirre. Il poursuit avec un triptyque vidéo sur l’érotisation des corps d’hommes, signé Nelson Henricks, puis aborde, par le biais de deux oeuvres de Dora Budor, l’art de trafiquer âge et beauté. Terrance Houle clôt la section avec une vidéo à propos des stéréotypes de l’homme blanc sur les autochtones.
Sans doute le plus politisé de l’expo, le corpus décrit ici, qui compose un quart du volet à la Galerie de l’UQAM, tend à montrer l’indéfinissable. Qu’est-ce que la masculinité ? Qu’est-ce que la beauté ? Qu’est-ce que cet Autre, dont on a longtemps exploité l’image pour les besoins de nos sociétés cowboys?
Un lot de fabrications
La signification des images prend ailleurs, à l’UQAM, d’autres voies. Par la technique du collage, et du procédé de photographies de photographies, les artistes Sara Cwynar et Seung Woo Back parlent de fabrication d’idéologies, commerciales ou politiques, désirées ou imposées.
Malgré la diversité des esthétiques, les oeuvres de la galerie universitaire se répondent les unes les autres, autour du même esprit de fabrication — mais n’est-ce pas le propre de l’art? Deux installations voisines, Coupé/Décalé (2010) de Camille Henrot et Hand-Me-Downs (2011) d’Yto Barrada, traitent de la construction d’une mémoire, en marchant sur le mince fil qui sépare documentaire et fiction (ou autobiographie et autofiction). Rien ne doit être tenu pour acquis, et c’est un peu ce que magnifie l’installation à trois écrans au coeur de la galerie, Museum of Nothing(s) (2017) de Boris Mitic.
L’artiste serbe classe des images du monde, filmées par 60 cinéastes, selon des thèmes aussi vastes que l’absurde, la couleur ou le mal de vivre. Il en découle un abécédaire humaniste, quelque peu mélancolique (musique aidant), où les notions d’auteur, d’intention et de signification sont floues et mouvantes.
À l’instar du Musée de l’innocence de l’écrivain Orhan Pamuk, Museum of Nothing(s) collecte, pour leur potentiel affectif, des choses de la vie. Un rien a de la valeur, pourvu qu’on la lui fabrique, pourvu que ce rien soit associé à d’autres riens.
Au centre Vox, il n’y a pas d’oeuvre pivot équivalente, même que la disposition des salles condamne à l’isolement plusieurs d’entre elles — notamment les vidéos de Mircea Cantor, de Pascal Grandmaison et de Frédéric Lavoie. À Vox, le parcours est scindé entre des images de pouvoir et un discours sur la lisibilité.
Une fois de plus, la fabrication est mise en relief. Parmi les oeuvres les plus percutantes, notons les séries Kim Waldron Ltd (2017) de l’auteure du même nom et Hairstyles (1971-1980) de J. D. ’Okhai Ojeikere. La première parle de paradis fiscaux, la seconde d’ethnographie, mais dans les deux cas, les artistes pointent indirectement le besoin de se construire un réseau, un imaginaire.
À noter que la manifestation n’a pas seulement changé d’appellation. Momenta est devenue payante : pour accéder aux deux lieux de l’expo centrale, il faut acheter le passeport de 15$.
MOMENTA
’ BIENNALE DE L IMAGE À la Galerie de l’UQAM et à Vox, centre de l’image contemporaine, jusqu’au 15 octobre.