Il danse avec les loups
Bruno Massé signe un redoutable manifeste écologique déguisé en joyeux roman
Difficile de ne pas penser au Plan Nord en trame de fond à la lecture de Creuse ton trou, dernier roman de Bruno Massé. Le géographe de formation, derrière M9A : il ne reste plus que les monstres (Sabotart), raconte, d’une manière crue et drolatique, l’histoire d’un village dans la ligne de mire d’une compagnie minière, motif à une critique sur l’exploitation au rabais de nos ressources naturelles.
À mi-chemin entre le thriller policier et l’expérience sociologique, Creuse ton trou démarre au quart de tour: dans une grosse cylindrée qui file à plein régime vers un no man’s land fictif dans le nord du Québec, au-delà du 50e parallèle : Saint-Jude-le-Vaillant, lieu étrange, quasi irréel. Au volant, Carl Sauriol, lobbyiste belliqueux et sans vergogne, à la solde d’une minière. C’est un plumeur professionnel qualifié par ses pairs de « meilleur dans la “business”».
Son partenaire d’affaires et complice de longue date, Redgie, le charge de faire la lumière sur la disparition mystérieuse d’un prospecteur minier. Et puisqu’il sera sur place, pourquoi ne pas arracher au maire la bénédiction du village pour y rouvrir une nouvelle mine à ciel ouvert. Question de faire d’une pierre deux coups.
Mais rien ne va se dérouler comme prévu. Sauriol frappe son Waterloo… ou son caribou plutôt, lors d’un violent accident de voiture qui survient au début du récit. Il se frotte aussi aux gens de la place: une poignée tissée serré de personnages rocambolesques, les deux pieds bien enracinés dans leur coin de pays, et pour qui un lobbyiste roulant les mécaniques et semant son argent à tous les vents n’a rien de bien convaincant. L’enquête sur la disparition du prospecteur piétine. Les embûches sont abracadabrantes.
Romancier militant
Une sorte de manifeste écologiste déguisé en roman, ce dernier opus de Bruno Massé? Normal, l’auteur est un militant de longue date et, depuis 2010, coordonnateur général du Réseau québécois des groupes écologistes. Creuse ton trou, c’est donc une charge contre les déprédations d’un « extractivisme» motivé par une quête continuelle de profit; un roman de 260 et quelques pages comme autant de salves sur les conséquences que peut avoir l’industrie minière sur les communautés dont le sous-sol devient soudainement source de convoitise. Mais c’est aussi l’histoire d’un village qui résiste à l’envahisseur, un village peuplé d’irréductibles — québécois ceux-là — prêts à tout pour garder intact leur territoire. Sans oublier celle d’un lobbyiste, à l’approche de la retraite, qui sera mis devant les conséquences de son travail sur les collectivités mises à l’enchère pour leurs ressources naturelles.
«La manière que le monde va, le rythme qui accélère, ce qu’on a fait avec la planète, la façon qu’on traite le sol en dessous de nos pieds pis les gens qui habitent dessus, huit milliards d’imbéciles qui se mettent le gun sur la tempe, pillent tout ce qu’ils voient et peuvent juste pas s’en empêcher… Tu suis les nouvelles comme tout le monde. Tu penses que ça peut continuer longtemps?»
C’est un roman noir et cynique, avec juste ce qu’il faut de vraisemblance pour faire sourire et de suspense pour être tenu en haleine. CREUSE TON TROU
1/2 Bruno Massé Québec Amérique Montréal, 2017, 237 pages