Le Devoir

Bachar al-Assad et le paradoxe du bourreau hors norme

Jean-Marie Quéméner dresse un portrait simple de ce dictateur complexe qui n’a l’air de rien

- CLAUDE LÉVESQUE

Bachar al-Assad est un dictateur sanguinair­e. Pourtant, il n’en a pas vraiment l’air. Physiqueme­nt d’abord: grand et mince, mais avec un menton fuyant et des épaules tombantes. Dans le passé, les monstres nous avaient habitués à une certaine carrure. Parfois même à une moustache, comme s’ils voulaient rendre leurs vociférati­ons encore plus menaçantes. Mais Bachar al-Assad ne vocifère pas, ce qui lui a souvent permis d’amadouer journalist­es et diplomates, même s’il est le protagonis­te d’un des pires conflits du jeune siècle: 331 000 morts, sept millions de personnes déplacées à l’intérieur des frontières et cinq millions de réfugiés à l’étranger.

C’est à ce paradoxe, celui d’un bourreau hors norme, que Jean-Marie Quéméner s’attaque dans son livre Bachar alAssad. En lettres de sang (Plon). «Il y a moins de dix ans, la Syrie était déjà une dictature. Elle n’était pas encore en ruine. Bachar était déjà au pouvoir. Il n’avait pas encore massacré son peuple », écrit-il. «Il faut croire que le tueur dormait en lui…» ajoute-t-il, citant le chercheur libanais Ziad Majed.

Ophtalmolo­giste manqué

Bachar est le produit du régime baasiste mis en place par son père, Hafez. Six ans avant sa mort, il a désigné Bachar comme successeur, après avoir perdu son fils aîné, Bassel, dans un accident d’automobile.

Bachar ne se destinait pas à la présidence de son pays, mais bien à une paisible carrière d’ ophtalmolo­giste à Londres. Après le décès du patriarche, il est adoubé par les principale­s institutio­ns du pouvoir, dont l’armée, qu’il n’a pas fréquentée.

Les réformateu­rs s’expriment alors, croyant que c’est possible de le faire sans danger. Bachar ne riposte pas et prétend même être l’instigateu­r de l’aggiorname­nto qui se met en branle. Le mouvement dure environ un an, puis le rideau de fer s’abat de nouveau sur la Syrie: arrestatio­ns, envois en exil, etc.

L’économie est en grande partie privatisée, au profit des copains. Pour la Banque mondiale et la plupart des chanceller­ies occidental­es, cette façade suffit, au moins jusqu’en 2004. Le 2 septembre de cette année-là, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution stipulant qu’au bout de 30 ans, l’occupation du Liban par la Syrie a assez duré. Bachar procrastin­e. Le 14 février 2005, le premier ministre du Liban, Rafic Hariri, meurt dans un attentat à la bombe à Beyrouth, crime que les services de renseignem­ent syriens sont soupçonnés d’avoir organisé. La communauté internatio­nale insiste pour que le maître de Damas retire ses troupes du pays des Cèdres.

Les années passent et le «Printemps arabe» éclôt en Tunisie, puis s’étend vers la Libye, l’Égypte et la Syrie. Bachar met un certain temps à réagir. La descente aux enfers commence lorsque des manifestat­ions sont sauvagemen­t réprimées à Deraa. D’autres villes écoperont: Damas, Lattaquié, Homs… Mutineries dans les casernes. Les clivages religieux apparaisse­nt ouvertemen­t. Bachar massacre et emprisonne, tout en laissant sortir des islamistes de ses geôles.

Mise en garde

Le conflit est marqué par des atrocités, commises par toutes les parties, mais les crimes reprochés au camp de Bachar alAssad sont particuliè­rement nombreux. Le livre de JeanMarie Quéméner prend la forme d’une mise en garde contre toute complaisan­ce à l’endroit du chef baasiste.

Il s’agit d’une bonne synthèse, malheureus­ement trop brève et comportant trop peu de sources directes. Un chapitre est consacré à la complicité des scientifiq­ues français dans les années 1990 et un autre au rôle joué par la belle Asma, épouse du dictateur. Contrairem­ent à ce que l’éditeur laisse entendre sur la couverture, ces deux sujets ne sont pas traités en profondeur.

BACHAR AL-ASSAD EN LETTRES DE SANG

Jean-Marie Quéméner Plon Paris, 2017, 180 pages

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