Bachar al-Assad et le paradoxe du bourreau hors norme
Jean-Marie Quéméner dresse un portrait simple de ce dictateur complexe qui n’a l’air de rien
Bachar al-Assad est un dictateur sanguinaire. Pourtant, il n’en a pas vraiment l’air. Physiquement d’abord: grand et mince, mais avec un menton fuyant et des épaules tombantes. Dans le passé, les monstres nous avaient habitués à une certaine carrure. Parfois même à une moustache, comme s’ils voulaient rendre leurs vociférations encore plus menaçantes. Mais Bachar al-Assad ne vocifère pas, ce qui lui a souvent permis d’amadouer journalistes et diplomates, même s’il est le protagoniste d’un des pires conflits du jeune siècle: 331 000 morts, sept millions de personnes déplacées à l’intérieur des frontières et cinq millions de réfugiés à l’étranger.
C’est à ce paradoxe, celui d’un bourreau hors norme, que Jean-Marie Quéméner s’attaque dans son livre Bachar alAssad. En lettres de sang (Plon). «Il y a moins de dix ans, la Syrie était déjà une dictature. Elle n’était pas encore en ruine. Bachar était déjà au pouvoir. Il n’avait pas encore massacré son peuple », écrit-il. «Il faut croire que le tueur dormait en lui…» ajoute-t-il, citant le chercheur libanais Ziad Majed.
Ophtalmologiste manqué
Bachar est le produit du régime baasiste mis en place par son père, Hafez. Six ans avant sa mort, il a désigné Bachar comme successeur, après avoir perdu son fils aîné, Bassel, dans un accident d’automobile.
Bachar ne se destinait pas à la présidence de son pays, mais bien à une paisible carrière d’ ophtalmologiste à Londres. Après le décès du patriarche, il est adoubé par les principales institutions du pouvoir, dont l’armée, qu’il n’a pas fréquentée.
Les réformateurs s’expriment alors, croyant que c’est possible de le faire sans danger. Bachar ne riposte pas et prétend même être l’instigateur de l’aggiornamento qui se met en branle. Le mouvement dure environ un an, puis le rideau de fer s’abat de nouveau sur la Syrie: arrestations, envois en exil, etc.
L’économie est en grande partie privatisée, au profit des copains. Pour la Banque mondiale et la plupart des chancelleries occidentales, cette façade suffit, au moins jusqu’en 2004. Le 2 septembre de cette année-là, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution stipulant qu’au bout de 30 ans, l’occupation du Liban par la Syrie a assez duré. Bachar procrastine. Le 14 février 2005, le premier ministre du Liban, Rafic Hariri, meurt dans un attentat à la bombe à Beyrouth, crime que les services de renseignement syriens sont soupçonnés d’avoir organisé. La communauté internationale insiste pour que le maître de Damas retire ses troupes du pays des Cèdres.
Les années passent et le «Printemps arabe» éclôt en Tunisie, puis s’étend vers la Libye, l’Égypte et la Syrie. Bachar met un certain temps à réagir. La descente aux enfers commence lorsque des manifestations sont sauvagement réprimées à Deraa. D’autres villes écoperont: Damas, Lattaquié, Homs… Mutineries dans les casernes. Les clivages religieux apparaissent ouvertement. Bachar massacre et emprisonne, tout en laissant sortir des islamistes de ses geôles.
Mise en garde
Le conflit est marqué par des atrocités, commises par toutes les parties, mais les crimes reprochés au camp de Bachar alAssad sont particulièrement nombreux. Le livre de JeanMarie Quéméner prend la forme d’une mise en garde contre toute complaisance à l’endroit du chef baasiste.
Il s’agit d’une bonne synthèse, malheureusement trop brève et comportant trop peu de sources directes. Un chapitre est consacré à la complicité des scientifiques français dans les années 1990 et un autre au rôle joué par la belle Asma, épouse du dictateur. Contrairement à ce que l’éditeur laisse entendre sur la couverture, ces deux sujets ne sont pas traités en profondeur.
BACHAR AL-ASSAD EN LETTRES DE SANG
Jean-Marie Quéméner Plon Paris, 2017, 180 pages