Le Devoir

Père et travailleu­r de la constructi­on: difficile conciliati­on

En mai dernier, 175 000 travailleu­rs québécois de la constructi­on ont débrayé illégaleme­nt pendant six jours. S’il s’agissait là de la deuxième grève générale illimitée en quatre ans pour cette industrie, cette fois-ci, les médias ont largement parlé des

- MARILYSE HAMELIN Collaborat­ion spéciale

La réalité des familles québécoise­s a considérab­lement changé en quelques décennies à peine. Les mères au foyer sont désormais rares et les femmes, bien que timidement, continuent d’investir le milieu de la constructi­on. Par-dessus tout, la réalité des familles séparées et la garde partagée expliquent en bonne partie les demandes de conciliati­on travail-famille des nouvelles génération­s de travailleu­rs sur les chantiers, estime Yves Ouellet, directeur général de la FTQ-Constructi­on.

Ces derniers réclament des horaires plus raisonnabl­es, en plus de chercher à limiter les

heures supplément­aires. « Les pères séparés doivent faire des acrobaties pour arriver à gérer leurs responsabi­lités familiales,

indique M. Ouellet. Si on leur demande d’être au chantier à Varennes à 5h30 du matin alors qu’ils habitent à SaintEusta­che, ça veut dire quoi, qu’ils vont devoir se lever à 3h du matin? Y a pas de garderie qui ouvre à 4h du matin et, même si c’était le cas, ça n’a pas de bon sens de réveiller un enfant à cette heure-là. Et puis, pour se lever à 3h, ça veut dire se coucher à quelle heure, tout de suite après le souper? Et ses enfants, on les voit quand?» S’il a entendu à maintes reprises les patrons, et même

une certaine «vieille garde» parmi les travailleu­rs, déplorer les demandes des plus jeunes, entonnant en choeur le bon vieux refrain «dans mon temps, on travaillai­t fort et on ne se plaignait pas», M. Ouellet refuse net d’embarquer dans les querelles génération­nelles. Au contraire même, il légitime d’emblée les demandes des nouvelles génération­s.

«Quand je les vois réclamer une meilleure qualité de vie, dire aux employeurs “tu ne me prendras pas en otage, j’ai un enfant à aller chercher à la garderie”, je suis content, je trouve qu’ils ont bien raison. »

Rareté de la main-d’oeuvre

Le directeur général de la FTQ-Constructi­on ajoute que le rapport de force entre les deux parties a changé en raison de la pénurie de travailleu­rs. «Quand on était jeunes, on avait de la difficulté à trouver du travail, raconte-t-il. Aujourd’hui, il y a beaucoup de pancartes “On embauche” aux abords des chantiers, on ne voyait pas ça avant. La rareté de la main-d’oeuvre est indéniable, et les travailleu­rs sont en meilleure position pour choisir. »

Outre les raisons démographi­ques, le directeur explique que la concurrenc­e avec d’autres secteurs d’emplois manuels et techniques, comme l’aéronautiq­ue ou l’informatiq­ue,

pèse aussi dans la balance. «Les travailleu­rs vont aller là où ils trouvent de la stabilité, des horaires qui ont du bon sens, explique-t-il. Pour les attirer et les retenir, il va falloir que les employeurs comprennen­t les demandes et s’adaptent.»

Selon lui, les entreprene­urschefs doivent adopter une vision à long terme favorisant la conciliati­on travail-famille plutôt que de viser une productivi­té à tout crin à court terme.

«Notre industrie est touchée non seulement par les changement­s démographi­ques, mais aussi par l’évolution des mentalités, ajoute-t-il. Or, la constructi­on, c’est tout un monde, en raison de la durée variable des contrats. Les mégachanti­ers ne sont pas monnaie courante et, souvent, les travailleu­rs doivent se promener énormément au cours d’une même semaine. »

Selon M. Ouellet, la charge mentale que vivent de plus en plus de travailleu­rs de la constructi­on, liée aux difficulté­s d’articulati­on entre le travail et la vie familiale, contribue à abaisser leur productivi­té, une autre raison d’y voir pour les employeurs.

Milieu d’hommes

Le domaine de la constructi­on étant traditionn­ellement masculin, les femmes peinent encore aujourd’hui à s’y tailler une place, non seulement en raison de l’ambiance parfois très machiste qui y règne, comme l’avait illustré l’excellent documentai­re Casques

roses, mais aussi, évidemment, en raison de la difficulté d’y concilier la vie de famille et les responsabi­lités familiales.

Un document officiel sur le sujet publié par la FTQ, en 2011, tout simplement intitulé

Conciliati­on travail-famille, témoignait du problème du deux poids, deux mesures, qui perdure entre les deux parents.

« Qui n’a pas d’obligation­s en dehors du travail, que ce soit à l’égard d’enfants, de parents âgés, de proches malades ou ayant des besoins spéciaux, ou encore à l’égard de soi-même [vie sociale, syndicale, communauta­ire, études et perfection­nement, etc.] ? Les hommes comme les femmes sont concernés, même si ces dernières continuent d’assumer la plus grande part des tâches et des soins.»

Le directeur général de la FTQ-Constructi­on l’admet d’emblée : «Si on veut aller chercher les femmes, il va falloir s’adapter, notamment sur les horaires. »

Il tient néanmoins à rappeler le côté valorisant du travail de la constructi­on. «C’est un métier concret, exigeant physiqueme­nt, et puis, après, ce qui a été construit est là pour longtemps, rappelle-t-il. On peut le montrer aux enfants en disant «maman ou papa a contribué à construire ceci».»

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Les entreprene­urs-chefs doivent adopter une vision à long terme favorisant la conciliati­on travail-famille plutôt que de viser une productivi­té à tout crin à court terme, selon le directeur général de la FTQ-Constructi­on, Yves Ouellet.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les entreprene­urs-chefs doivent adopter une vision à long terme favorisant la conciliati­on travail-famille plutôt que de viser une productivi­té à tout crin à court terme, selon le directeur général de la FTQ-Constructi­on, Yves Ouellet.

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