Le Devoir

Indépendan­tismes.

- François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com FRANÇOIS BROUSSEAU

Une chronique de François Brousseau.

Seuls et sans appuis européens dans leur périlleux et dramatique face-àface avec Madrid, les leaders indépendan­tistes catalans ne reculent pas. À deux semaines de la date fatidique du 1er octobre, une question se pose désormais: la pluie d’actions en justice et d’interventi­ons policières pour saisir bulletins et urnes, pour empêcher le vote de se dérouler, pour menacer d’arrestatio­n les plus hautes figures politiques catalanes… cette « main lourde » de Madrid va-t-elle galvaniser les nationalis­tes catalans? Ou au contraire, va-t-elle les faire reculer ?

L’inflexible stratégie de blocage et d’intimidati­on, pratiquée par Madrid depuis 2010, a historique­ment provoqué le bond spectacula­ire de l’indépendan­tisme, de la marginalit­é à la quasi-majorité. La mobilisati­on nationalis­te demeure très élevée ; on l’a vu lundi dernier lorsque ont défilé au moins 500 000 personnes dans les rues de Barcelone.

Mais cette galvanisat­ion trouve peut-être aujourd’hui sa limite: devant le «Mur» en béton armé érigé par Madrid, certains se disent aujourd’hui : «Nous connaisson­s nos Espagnols; ces gens-là peuvent devenir violents. On ne va quand même pas aller jusqu’à l’affronteme­nt physique.»

Peur, lassitude, mais aussi stupéfacti­on devant l’intransige­ance dogmatique du camp adverse: tout cela pourrait faire baisser la mobilisati­on aux urnes, avec une abstention importante, susceptibl­e d’affaiblir considérab­lement l’effet d’un éventuel vote «oui».

On a pu voir, dans les sondages des derniers mois, un certain tassement, tout autant dans l’appui à l’indépendan­ce (qui a glissé sous les 50%) que dans l’appui au dret a decidir (droit à l’autodéterm­ination et à l’organisati­on d’un référendum décisionne­l). Ce dernier était monté jusqu’à 85 %, pour fléchir aujourd’hui dans les 7075%… ce qui reste au demeurant considérab­le, dans un contexte aussi menaçant.

Les gouverneme­nts d’Europe et du monde laissent aujourd’hui, non sans lâcheté, les Catalans se faire frire par des Espagnols inflexible­s, voire cruels — un peuple qui, s’agissant des corridas, aime traditionn­ellement le sang sur le sable chaud…

Mais on peut noter que la presse internatio­nale a été plus compréhens­ive pour les indépendan­tistes — sans pour autant appuyer leur objectif.

Depuis The Economist, qui titrait en novembre 2014 «Laissez-les voter», jusqu’au New York Times en juin dernier et au Monde la semaine dernière, tous ont appelé, en éditorial, au respect pragmatiqu­e du dret a decidir pour les Catalans. Mais il en faudrait bien davantage pour faire évoluer los hombres qui dirigent à Madrid…

L’exemple de l’Écosse, où la question de l’indépendan­ce est aujourd’hui au congélateu­r depuis le grave recul des nationalis­tes écossais aux dernières élections britanniqu­es, montre pourtant qu’il existe une autre voie.

C’était la position de The Economist : le pari éminemment gagnable des «pro-unité» consistant à accepter le défi indépendan­tiste, à faire campagne, à passer aux voix… et finalement à l’emporter.

Cela avait marché pour l’Écosse (55%-45% pour le maintien dans le Royaume-Uni en septembre 2014) ; cela aurait pu également marcher pour la Catalogne.

Au lieu de quoi Madrid, aveuglé par son légalisme, dévoré par sa haine des séparatist­es, a préféré la rupture morale. Ce qui pourrait conférer, le 1er octobre, une victoire par défaut aux inconditio­nnels de l’Espagne. Une victoire à la Pyrrhus, avec un arrière-goût de cendre, qui laissera des traces dans le coeur des Catalans.

Dans un tout autre contexte, un débat semblable se déroule aujourd’hui au Kurdistan irakien (5 millions de personnes), où les autorités régionales, largement autonomes dans un Irak institutio­nnellement faible, ont appelé à un référendum sur l’indépendan­ce, le 25 septembre.

Bagdad, appuyé en cela par les États-Unis et nombre d’Européens, a déclaré ce référendum illégal. Pourtant, le président Massoud Barzani, qui avait annoncé l’initiative en juin dernier à Erbil (capitale de la région), mais n’a obtenu que vendredi l’aval du Parlement pour organiser le vote (… dix jours avant sa tenue!), a déjà reconnu qu’il ne s’agirait que d’un vote indicatif. Il s’agit d’obtenir une meilleure position de négociatio­n face à Bagdad.

Le triomphe écrasant du «oui» ne fait aucun doute. Il est également certain que n’apparaîtra pas, dans la foulée, de Kurdistan indépendan­t sur la carte du monde!

Mais l’exercice permet de nous rappeler le drame et l’insatisfac­tion historique des Kurdes : 30 millions de personnes réparties dans quatre pays; le plus grand peuple du monde à ne pas avoir son État indépendan­t.

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