Le Devoir

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La députée française Delphine Batho, de passage à Ottawa, veut encourager les autres pays à légiférer contre ces pesticides

- SARAH R. CHAMPAGNE

La députée française Delphine Batho veut convaincre d’autres pays de légiférer contre les néonicotin­oïdes.

Des cadavres d’abeilles apportés par des apiculteur­s de sa région jusqu’à l’adoption d’une loi pour la reconquête de la biodiversi­té, Delphine Batho sonne l’alerte depuis plusieurs années sur les dangers des néonicotin­oïdes.

La députée française et ancienne ministre de l’Écologie dans le gouverneme­nt de François Hollande a fait de l’interdicti­on de ces pesticides son combat politique. Une lutte maintenant inscrite dans la loi française, parmi les plus sévères en Europe quant à l’utilisatio­n des pesticides néonicotin­oïdes.

Leur utilisatio­n sera d’abord restreinte en 2018 à quelques cultures, «des exceptions», affirme-t-elle, puis complèteme­nt bannie en 2020. L’interdicti­on sera ainsi «sans dérogation » à partir de cette date, même en dernier recours.

«Le destin de l’humanité et des pollinisat­eurs est intimement lié. Et la disparitio­n des pollinisat­eurs est un problème mondial », expose la députée pour justifier son passage à Ottawa, cette semaine à l’invitation de la Fondation David Suzuki. Elle souhaite avoir des échanges sur cette question environnem­entale, dans un contexte où il y a «urgence d’agir».

Presser le pas

Tout comme au Québec, en France, les néonicotin­oïdes sont retrouvés dans les rivières : « Ils sont passés en quelques années du 50e rang des substances retrouvées à la 13e place des substances les plus répandues dans nos cours d’eau.»

«Je constate une vraie inquiétude pour la santé, en tout cas en France. La consommati­on alimentair­e biologique a par exemple augmenté de 20% l’année dernière et de 15% depuis le début de 2017», illustre Mme Batho.

Les conséquenc­es dévastatri­ces sont déjà reconnues par l’Agence de réglementa­tion de la lutte antiparasi­taire (ARLA) de Santé Canada, qui a recommandé en novembre 2016 l’abandon graduel de l’imidaclopr­ide, l’une des trois substances de cette «famille» utilisées au pays, dans un horizon de trois à cinq ans.

Les deux autres insecticid­es de cette famille les plus répandus au pays, la clothianid­ine et le thiaméthox­ame, font présenteme­nt l’objet d’un examen spécial, jugé prioritair­e par l’ARLA. C’est Santé Canada qui est responsabl­e d’approuver ou non l’usage de ces substances. Les ministères des provinces peuvent quant à eux interdire leur vente et leur usage sur leurs territoire­s respectifs.

Justificat­ion

Le projet de réglementa­tion déposé par Québec en juillet dernier ne fixe pas de seuil particulie­r de réduction des néonicotin­oïdes. Ces nouvelles règles prévoient plutôt que les néonicotin­oïdes pourront être utilisés si leur usage est justifié au préalable par un agronome.

Mais il faut presser le pas et ne pas adopter des objectifs trop vagues, croit Delphine Batho. Une restrictio­n trop large ouvre la porte au statu quo : «Il y a énormément de pression des firmes agro-industriel­les. C’est un combat difficile de faire valoir l’intérêt général sur les intérêts financiers », expose-t-elle.

Un point de vue partagé en partie par l’Union des producteur­s agricoles (UPA). «La majorité des vendeurs de pesticides sont des agronomes. C’est comme permettre à un pharmacien de prescrire un médicament», écrit son porte-parole au Devoir. Le gouverneme­nt n’atteindra pas son objectif selon l’UPA, en plus de générer «de la paperasse et des frais additionne­ls pour les producteur­s».

La réglementa­tion apparaît également peu ambitieuse au regard de celle adoptée depuis 2015 par la province voisine. L’Ontario se proposait en effet de réduire de 80% en deux ans, donc d’ici à la fin de 2017, la superficie des terres où les semences enrobées de ces substances pouvaient être plantées, un objectif atteint à 24% après la première année d’effort de réduction.

En 2016, le commissair­e au développem­ent durable a dénoncé le manque de suivi de la part du ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC) de l’utilisatio­n des pesticides en agricultur­e.

Du côté français, la loi a été votée contre l’avis du gouverneme­nt, avec l’appui obtenu député par député, jusqu’à la majorité «transparti», relate Delphine Batho. « Nous avons mobilisé beaucoup de citoyens, popularisé notre propositio­n. Nous surveillon­s maintenant l’applicatio­n de la loi dans les faits.» Même si elle fait confiance au ministre actuel de la Transition écologique, Nicolas Hulot, rien n’est jamais acquis, sauf le consensus sur les dangers des néonicotin­oïdes, conclut l’ancienne ministre.

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JACQUES DEMARTHON AGENCE FRANCE-PRESSE Ministre de l’Écologie dans le gouverneme­nt de François Hollande, Delphine Batho a contribué à faire entrer l’interdicti­on des pesticides néonicotin­oïdes dans la loi française.

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