Le Devoir

À l’ONU, Trump menace de détruire la Corée du Nord

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Les présidents se suivent et ne se ressemblen­t pas à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York. La différence fondamenta­le sautait aux yeux et aux oreilles mardi alors que, coup sur coup, en deux heures, se sont succédé Donald Trump et Emmanuel Macron pour leurs premiers grands oraux onusiens.

Le président américain a rompu avec la tradition de l’institutio­n en s’en prenant ouvertemen­t à d’autres pays membres. Il a menacé la Corée du Nord de destructio­n totale et a attaqué frontaleme­nt l’Iran et le Venezuela.

Le président français a livré un plaidoyer contrastan­t sur les vertus de la collaborat­ion mondiale et les avantages du multilatér­alisme. Et si le leader étasunien n’a reçu qu’un accueil poli, le jeune élu européen a été chaudement applaudi à plusieurs reprises par les centaines de délégués, chefs d’État et de gouverneme­nt de la planète.

«La poursuite imprudente par la Corée du Nord de son programme nucléaire et balistique menace le monde entier et pourrait causer des pertes humaines incommensu­rables, a dit Donald Trump. Aucune nation sur terre n’a intérêt à ce que cette bande de criminels se dote d’armes nucléaires et de missiles. Les États-Unis ont une grande force et une grande patience. Mais si nous sommes contraints à nous défendre ou à défendre nos alliés, nous n’aurons d’autre choix que de détruire totalement la Corée du Nord. […] Les États-Unis sont prêts, volontaire­s, et capables.»

Donald Trump a de nouveau qualifié le jeune leader nord-coréen de «rocket man». Il a commencé à utiliser ce sobriquet pour désigner Kim Jong-un sur Twitter la semaine dernière.

«À ma connaissan­ce, une menace aussi directe n’est jamais arrivée à l’ONU», commente le professeur Philippe Fournier, professeur de

sciences politiques de l’UdeM, spécialist­e des relations internatio­nales. « Fidèle à son habitude, Donald Trump n’adopte pas le bon ton pour l’occasion. Il se retrouve dans un des hauts lieux de la diplomatie mondiale et il fait de l’antidiplom­atie. Il est très menaçant et ce n’est pas du tout de mise dans un tel contexte.»

Le président Trump a en plus indiqué que l’accord sur le programme nucléaire iranien était une « honte ». Et il s’est dit prêt à voter de nouvelles sanctions contre le gouverneme­nt vénézuélie­n, qualifié de « dictature socialiste ».

Son Amérique à lui

Le professeur Fournier parle alors d’un propos «assez agressif, noir et belliqueux». Il rappelle que, «normalemen­t, un discours à l’ONU n’est pas l’occasion de jeter le blâme sur tout le monde, mais plutôt d’adopter un ton rassembleu­r, en insistant sur la coopératio­n, sur le bien-fondé et la légitimité d’une institutio­n comme celle-là».

Le politologu­e fait également remarquer que la livraison trumpienne se concentrai­t sur les États-Unis et leur seul intérêt national. «Il a encore martelé son programme de l’Amérique d’abord. M. Trump a envoyé une flèche à ses prédécesse­urs, notamment aux néoconserv­ateurs autour de George W. Bush, qui voulaient exporter la démocratie. Il vient d’une autre variante conservatr­ice, plus nationalis­te, plus isolationn­iste. »

Le président des États-Unis a poussé cette perspectiv­e en la généralisa­nt, lançant un appel au patriotism­e dans tous les pays. Le spécialist­e note que son rédacteur de discours, Steven Miller, est tout à fait aligné sur cette vision idéologiqu­e.

«Ce n’est pas du tout l’endroit pour développer ce genre de propos, dit le spécialist­e. On ne s’attend pas à ce qu’un pays membre vienne dire que le patriotism­e est une valeur cardinale et universell­e au-delà des principes défendus à l’ONU. Je me rappelle un discours rassembleu­r de Barack Obama en 2012 où il disait au contraire que les États-Unis partageaie­nt les valeurs énoncées dans la charte des Nations unies.»

L’anti-Trump

Là encore, l’opposition Trump/Macron n’en devient que plus évidente. Le président français a parlé avec lyrisme et impétuosit­é de l’Organisati­on des Nations unies, décrite comme vitale pour « défendre les voix oubliées » et pour « protéger les biens communs de la société des hommes ».

Il a affiché des positions contraires à celles de son puissant homologue sur tous les dossiers chauds de l’heure planétaire. L’anti-Trump a franchemen­t pris le contre-pied des positions trumpienne­s. Il a répété qu’il ne faut pas reculer devant la lutte contre les changement­s climatique­s, allant jusqu’à souhaiter le retour des États-Unis comme signataire des accords de Paris de 2015 sur le sujet. L’actuel gouverneme­nt a renié la signature des États-Unis.

M. Macron a appelé les pays du monde à s’unir pour mener «un combat militaire mais aussi politique, éducatif, culturel et moral » contre le terrorisme. Il a également annoncé qu’il entendait protéger l’accord sur le nucléaire signé avec l’Iran par les États-Unis, mais aussi par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Il a finalement dénigré les poussées d’escalade dans le dossier brûlant de la Corée du Nord. La France, comme beaucoup d’autres puissances, favorise un recours aux négociatio­ns plutôt qu’aux menaces.

«Résilier l’entente avec l’Iran pourrait créer une situation encore plus dangereuse que la situation avec la Corée du Nord, dit le professeur Fournier, interviewé avant le discours de M. Macron. Il y a énormément d’intérêts géostratég­iques en jeu et énormément de tensions dans cette région déjà très fragile. […] Le potentiel d’une escalade semble très dangereux dans le cas de l’Iran.»

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