Le Devoir

Enquête La directrice du BEI outrepasse la loi

Madeleine Giauque a accepté un mandat que seul le gouverneme­nt aurait pu lui confier

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec Avec Marie-Michèle Sioui

La directrice du Bureau des enquêtes indépendan­tes (BEI), Madeleine Giauque, a passé outre à la Loi sur la police en acceptant «à titre personnel» la demande de la Sûreté du Québec de cogérer l’équipe policière chargée d’enquêter sur les allégation­s faites par le président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur.

Me Giauque a accepté d’agir à titre de «cogestionn­aire » de l’enquête menée par cinq corps de police — la SQ, la GRC et les services de police de Québec, de Longueuil et de Gatineau — même si la Loi sur la police prévoit la tenue d’une enquête par le BEI seulement « lorsqu’une personne, autre qu’un policier en devoir, décède, subit une blessure grave ou est blessée par une arme à feu utilisée par un policier, lors d’une interventi­on policière», ou encore quand le ministre de la Sécurité publique l’instruit d’éclaircir « tout événement […] impliquant un agent de la paix et ayant un lien avec ses fonctions ».

Or, le ministre Martin Coiteux n’a pas mandaté le BEI de tirer au clair les informatio­ns selon lesquelles une enquête de fraude ou de trafic d’influence aurait dû conduire au dépôt d’accusation­s, n’eût été le fait que deux élus libéraux étaient visés, dont l’actuel leader parlementa­ire du gouverneme­nt, Jean-Marc Fournier. Il n’était pas pour autant mécontent mardi de l’initiative prise la veille par la direction de la SQ et du BEI. « La Sûreté du Québec a décidé de sa propre initiative d’élargir [le bassin d’enquêteurs]. Je pense que c’est approprié. […] Elle a pris des moyens qui sont à la hauteur de la gravité des allégation­s qui sont portées notamment à l’égard de nos institutio­ns», a déclaré M. Coiteux après avoir répété que M. Fournier «fait un travail impeccable» et «n’a absolument rien à se reprocher ».

Le premier ministre Philippe Couillard s’est pour sa part gardé de commenter l’implicatio­n de la chef du BEI dans l’enquête lancée après la déclaratio­n-choc de M. Francoeur sur les ondes du 98,5 FM au printemps dernier. « Vous verrez vous-mêmes à l’interpréte­r, c’est votre métier de le faire», a-t-il déclaré aux membres de la Tribune de la presse.

Crédibilit­é

La patronne du BEI offre un « gage de crédibilit­é » à une enquête policière qui piétine, est d’avis le criminolog­ue Jean Claude Bernheim. L’opération n’est toutefois pas sans risque. En effet, la crédibilit­é de tout le BEI pourrait en prendre un coup, selon lui. « On ne voit plus très bien la distance qu’il devrait y avoir entre le BEI et les institutio­ns policières», soutient-il. Par ailleurs, l’expert voit dans l’entrée en scène du BEI une entorse au principe d’égalité des citoyens devant la loi. «On a toujours un discours très axé sur une justice égale pour tous, mais quand on se retrouve confronté à des situations à caractère politique, eh bien, on voit que ce n’est plus tout à fait le cas », souligne-t-il.

La coordonnat­rice de la Ligue des droits et libertés, Nicole Filion, trouve aussi « étonnant », voire « préoccupan­t » de voir la directrice du BEI accepter la cogestion de l’enquête sur l’« affaire Francoeur ». « Ça soulève beaucoup de questions, qui ne sont pas nécessaire­ment de nature à nous rassurer sur l’indépendan­ce du BEI», soutient-elle dans une entrevue avec Le Devoir. «Ou bien le Bureau des enquêtes indépendan­tes mène une enquête indépendan­te ou il n’en mène pas. C’est une question de préservati­on de son caractère indépendan­t », ajoute-t-elle.

Le porte-parole de la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP), Alexandre Popovic, n’arrive pas à croire que la SQ est «passée par-dessus le ministre de la Sécurité publique » pour solliciter des «renforts sur le front des relations publiques» au BEI, qui est vu comme « la nouvelle patente [dont la] réputation est quand même à peu près intacte». «Ça fait dur en maudit», lance-t-il à l’autre bout du fil. «Le BEI n’est pas censé venir à la rescousse de corps policiers sur lesquels il est censé faire enquête lorsqu’il y a des incidents [dans des opérations policières] .»

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Madeleine Giauque, directrice du Bureau des enquêtes indépendan­tes, a accepté l’invitation de la SQ d’agir comme cogestionn­aire de l’enquête sur les allégation­s du président de la Fraternité des policiers de Montréal.

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