Le Devoir

Ottawa reste flou sur plusieurs enjeux liés au cannabis

Les libéraux ne répondent pas aux inquiétude­s soulevées en comité parlementa­ire

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Les inquiétude­s en vue de la légalisati­on de la marijuana n’ont pas été apaisées par le gouverneme­nt Trudeau au terme de l’étude de son projet de loi en comité. Risques d’être rabroués à la frontière américaine, accès légal aux produits comestible­s plutôt que sur le marché noir, volonté des provinces de prohiber complèteme­nt la culture à domicile: sur tous ces enjeux, les libéraux ont évité de trop se prononcer.

Après plus de 40 heures de travaux, le comité parlementa­ire de la santé terminait son examen du projet de loi C-45, mardi, en interrogea­nt les ministres responsabl­es du dossier. Au fil des témoignage­s, l’opposition et des avocats criminalis­tes se sont notamment inquiétés des conséquenc­es de la légalisati­on pour les voyageurs canadiens qui admettront avoir consommé du cannabis — devenu légal au Canada — à la frontière des États-Unis, qui l’interdisen­t toujours.

«On ne recevra pas d’ordre de quiconque d’autre quant à notre façon de décider qui nous laissons entrer au pays. Alors, je ne vais pas dire aux Américains non plus comment prendre leurs décisions quant à ceux qu’ils laissent entrer dans leur pays», a tranché le premier ministre Justin Trudeau, en conférence de presse en début de journée. Quelques heures plus tard, M. Trudeau se rendait à New York sans pour autant avoir de soucis à la douane, lui qui a lui-même admis avoir fumé de la marijuana lorsqu’il était député.

L’ironie n’a pas échappé au chef du NPD, Thomas Mulcair, qui réclame une entente formelle avec les États-Unis garantissa­nt le droit d’entrée aux Canadiens qui avoueront avoir consommé. «On veut simplement s’assurer que les règles sont les mêmes pour tous les Canadiens», a-t-il lancé.

Les pourparler­s entre Ottawa et Washington se poursuiven­t, a assuré le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, au comité. «Et nous avons clairement indiqué que l’on s’attend à ce que les voyageurs dans les deux directions soient traités de façon profession­nelle et respectueu­se.»

Champ libre à domicile?

Qu’en est-il de la culture personnell­e du cannabis, qui pourrait se faire avec un maximum de quatre plants en vertu de la loi fédérale, mais qui pourrait être interdite par le Québec et l’Ontario, qui jonglent avec cette possibilit­é ? Le cadre légal d’Ottawa permet aux provinces d’être « plus restrictiv­es ».

Au point de prohiber carrément la culture à domicile? Les libéraux n’ont pas voulu présumer. «Je ne veux pas plonger dans des hypothèses pour l’instant», s’est contenté de commenter M. Trudeau. «Il va falloir qu’on y réfléchiss­e, pour s’assurer que la loi est dûment respectée. […] La ministre de la Justice va se pencher sur les questions juridiques », a pour sa part réagi le ministre Goodale.

Ottawa veut permettre de faire pousser chez soi quatre plantes d’une hauteur maximale d’un mètre, afin d’éviter des plantes trop hautes qui fourniraie­nt davantage de cocottes. «Ce qui pourrait indiquer une intention de détourner le produit vers le marché noir», a expliqué la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, au comité.

Aux conservate­urs qui s’inquiètent que les plantes à domicile soient trop accessible­s aux enfants, la ministre de la Santé Ginette Petitpas Taylor a rétorqué que les parents prenaient déjà des précaution­s pour éviter que leurs jeunes aient accès à leur alcool ou leurs médicament­s sur ordonnance. Ce sera pareil pour le cannabis, a-t-elle estimé, mais la conservatr­ice Marilyn Gladu l’a jugée «naïve».

Le néodémocra­te Don Davies a pour sa part fait remarquer aux ministres que plusieurs témoins — dont l’ancienne ministre libérale Anne McLellan, qui a dirigé leur comité consultati­f sur la marijuana — estiment que les produits comestible­s seront achetés sur le marché noir s’ils ne sont pas légalisés en même temps que l’herbe séchée. «Ce sera fait en temps et lieu», a indiqué la ministre de la Santé, qui promet la légalisati­on de produits dérivés quelques mois après celle du cannabis brut.

Quant au pardon pour les accusés de possession simple — une mesure réclamée par le NPD, des avocats et des militants pro-cannabis —, le gouverneme­nt étudie la question, mais n’a pas encore pris de décision, a dit le ministre Goodale. À l’instar de ses propres fonctionna­ires la semaine dernière, M. Goodale a reconnu que le marché noir ne serait pas facilement entièremen­t éliminé du marché du cannabis — qui représente 7 milliards de dollars chaque année. «Mais on parle de réduire la part de marché du monde criminel pour le cannabis non médical de 100%, où elle se trouve actuelleme­nt, à un niveau beaucoup, beaucoup plus bas. Et ce serait une améliorati­on », a insisté le ministre.

Le gouverneme­nt libéral compte maintenant garder la cadence pour légaliser la marijuana d’ici juillet prochain comme prévu, malgré les réticences des policiers et de certaines provinces. «La réalité du statu quo dans ce pays a été un échec lamentable», a tranché la ministre de la Justice.

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JUSTIN TANG LA PRESSE CANADIENNE La ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, lors des travaux du comité mardi

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