Le Devoir

Les primes au bilinguism­e compromise­s ?

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratiq­ue s’insurgent contre le fait que la prime au bilinguism­e de 800 $ versée aux fonctionna­ires fédéraux est remise en question par un récent rapport gouverneme­ntal. Selon les deux partis d’opposition, l’abolir mettrait encore davantage en péril une langue française déjà bien malmenée dans la fonction publique canadienne.

«C’est une manière d’enterrer tout effort réel d’avoir une place réelle pour le français dans la fonction publique, et c’est le français qui va écoper avec un rapport comme celuilà », a lancé Thomas Mulcair, le chef du NPD.

« Il faut renforcer les services en français à l’extérieur du Québec. La prime au bilinguism­e était déjà un incitatif minimal, insuffisan­t, alors on va vraiment dans la mauvaise direction», a déclaré pour sa part le député bloquiste Mario Beaulieu.

Le perfection­nement linguistiq­ue

Leurs craintes s’expliquent par les recommanda­tions d’un rapport rendu public la semaine dernière sur la dualité linguistiq­ue au sein de la fonction publique fédérale. Commandé par le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, le rapport, intitulé Le prochain niveau, en arrive à la conclusion qu’il faut faire les choses différemme­nt afin de favoriser une réelle utilisatio­n de l’anglais et du français chez les fonctionna­ires. Une des suggestion­s est d’abolir la prime et de financer avec l’argent économisé un programme de perfection­nement linguistiq­ue.

La prime existe depuis 1977 et son montant de 800$ n’a jamais été modifié. Elle n’est pas versée à tous les fonctionna­ires bilingues, mais seulement à ceux qui occupent un poste désigné bilingue. Les membres de la direction n’y ont pas droit. Selon le Conseil du Trésor, les primes versées en 2016-2017 ont coûté 66,3 millions de dollars.

Au cabinet du ministre responsabl­e du Conseil du Trésor, Scott Brison, on indique que le rapport sera étudié avant de décider d’en mettre ou non les recommanda­tions en applicatio­n. On note toutefois que, cette prime faisant partie des conditions de travail des fonctionna­ires, il ne serait pas possible pour le gouverneme­nt de la modifier sans négociatio­n avec les syndicats. Ni l’Alliance de la fonction publique du Canada ni l’Institut profession­nel de la fonction publique du Canada n’ont encore pris position dans ce dossier.

«Passer le test»

Le rapport souligne les failles de la prime, qui « est complèteme­nt détachée de l’utilisatio­n des langues officielle­s». «La prime au bilinguism­e est accordée aux employés […] qui satisfont aux exigences linguistiq­ues associées à leur poste, peu importe qu’ils utilisent ou non les deux langues officielle­s dans le cadre de leurs fonctions. Cela a consolidé la culture “passer le test” ». Les fonctionna­ires, explique le rapport, étudient en vue d’obtenir la cote requise pour toucher la prime, mais au quotidien, ils n’utilisent pas davantage la langue seconde — le français le plus souvent.

De manière générale, le rapport conclut que «l’anglais est la langue dominante pour la plupart des activités quotidienn­es et les employés francophon­es ne ressentent pas toujours qu’ils peuvent travailler dans la langue de leur choix».

Certains anglophone­s unilingues interrogés dans le cadre de l’étude ont déploré le fait qu’il leur était difficile d’apprendre le français une fois embauchés et que cela pourrait limiter leurs promotions.

En 2016, 50% de tous les postes de la fonction publique fédérale exigeaient la maîtrise de l’anglais, contre 4% pour le français. 43% étaient désignés bilingues.

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