Le Devoir

La bataille jamais gagnée

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Depuis quelques années, la plupart des gouverneme­nts sont préoccupés par l’érosion de leur assiette fiscale causée par l’évasion des capitaux à destinatio­n des paradis fiscaux. Une nouvelle étude nous en apprend davantage sur le phénomène.

Cette étude publiée par le National Bureau of Economic Research (Cambridge, MA) nous rappelle que l’équivalent de 10% du PIB mondial, soit entre 6 et 7 billions $US, est placé dans un paradis fiscal. Pour le Canada, l’étude effectuée par des chercheurs de Berkeley, de Copenhague et d’Oslo à partir des données de 2007 évalue à environ 5% du PIB canadien les avoirs des nôtres dans ces paradis, comparativ­ement à 8% pour les États-Unis, 15% pour la France, 47% pour la Russie et 65 % pour le Venezuela.

Le Canada, comme la plupart des pays nordiques, n’est donc pas le plus affecté. Mais même à 5% du PIB, cela représente au bas mot 100 milliards de dollars de richesses détournées du regard du fisc et soustraite­s au marché productif national.

Selon des statistiqu­es officielle­s, les Canadiens ont 80 milliards d’investis à la Barbade, un pays d’à peine 280 000 habitants qui ne vit que de tourisme et de services bancaires. Trois grandes banques, Scotia, CIBC et Royale, y font des affaires d’or.

En incluant ces richesses dans le calcul des inégalités économique­s, le 0,01% (lire: un centième de 1%) des plus riches devient encore plus riche qu’il n’y paraît et, dans certains pays comme les États-Unis, il accapare une aussi grande fraction de la richesse du pays qu’avant l’arrivée de l’État providence.

Cédant à la pression de ses voisins, la Suisse, qui était le refuge préféré de près de 50% des étrangers vers 2006, a vu sa part du gâteau réduite à un peu plus de 25 %. À l’inverse, Hong Kong, Singapour, les Bahamas, les Bermudes et quelques autres sont devenus le coffre-fort préféré pour près de 35% des capitaux.

Tous les gouverneme­nts ne sont pas complices de cette injustice. Le problème est complexe, et les experts ès combines fiscales sont très nombreux à vouloir contourner les lois pour une clientèle disposée à consacrer des milliers de dollars à en économiser des millions.

À l’initiative de l’OCDE, une centaine de pays ont récemment signé un accord d’échange obligatoir­e d’informatio­ns qui entrera en vigueur en 2018. De plus, d’ici quelque temps, les multinatio­nales devront payer leurs impôts là où les revenus sont générés.

C’est un début, mais ces décisions prises à l’échelle de la planète entraînent déjà des effets pervers, comme la tendance que l’on observe à attirer les sociétés autrement, que ce soit en leur offrant des subvention­s et des crédits de plus en plus généreux ou, plus simplement, en diminuant radicaleme­nt les taux d’imposition des sociétés. Concurrenc­e oblige! Cela dit, il faut continuer de faire pression sur les gouverneme­nts pour les sensibilis­er aux problèmes d’érosion de l’assiette fiscale.

Jusqu’à ce jour, Ottawa a toujours refusé de s’attaquer de front aux grandes banques et aux experts comme KPMG reconnus pour leur extrême complaisan­ce. Signer des accords internatio­naux, c’est bien, voire essentiel. Mais tenter de régler le problème chez nous en interdisan­t les montages essentiell­ement destinés à éviter l’impôt et en criminalis­ant ceux qui s’y adonnent, ce que les libéraux ont refusé de faire en rejetant une motion du Bloc québécois l’an dernier, c’est encore mieux.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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