Le Devoir

Valeurs mobilières : Ottawa devrait reporter son projet d’agence unique

Un rapport publié par l’Institut C. D. Howe juge que le projet n’est pas prêt pour son entrée en vigueur en 2018

- FRANÇOIS DESJARDINS

Le projet fédéral visant à créer une commission pancanadie­nne de valeurs mobilières, qui entamera ses activités l’an prochain, n’améliorera­it pas l’actuel système de bonne entente interprovi­nciale et devrait être mis entre parenthèse­s le temps d’un examen indépendan­t. Dans un rapport tranchant publié mardi par l’institut C. D. Howe, l’auteur Harvey Naglie affirme que le niveau d’efficacité de l’organisme n’a pas été démontré et que de nombreuses questions demeurent sans réponse. Par exemple, que faire avec les provinces qui refusent d’adhérer, comme le Québec et l’Alberta?

Lancée par le gouverneme­nt Harper après des décennies de réserve, l’opération consistant à remplacer les agences provincial­es par un organisme commun fait craindre aux provinces récalcitra­ntes une perte de spécificit­é et d’expertise locale au profit de Toronto.

Le milieu des affaires du Québec ne cache pas son opposition au projet. Une étude de Secor produite en 2010 chiffrait à 155 000 le nombre de travailleu­rs dans le milieu financier.

«Les autorités provincial­es ont, au cours des dernières années, collaboré plus efficaceme­nt pour harmoniser la réglementa­tion, ce qui a stimulé la croissance des marchés de capitaux» ,a écrit M. Naglie, qui a été conseiller politique principal au ministère des Finances de l’Ontario. «Bien que des différence­s demeurent, particuliè­rement à l’égard des initiative­s en matière de protection des investisse­urs, il serait regrettabl­e de voir une situation où l’équilibre réglementa­ire puisse être compromis. »

En somme, M. Naglie croit que l’organisme «ne mérite pas un lancement sans examen» et qu’il serait déraisonna­ble d’en faire un « compte tenu des conséquenc­es d’un lancement prématuré d’un régulateur potentiell­ement imparfait».

Le milieu des affaires du Québec ne cache pas son opposition au projet

Répartitio­n des pouvoirs

Le bureau de la direction de l’organisme, qui porterait le nom d’Autorité de réglementa­tion des marchés des capitaux (ARMC), serait situé à Toronto. Des bureaux régionaux seraient situés dans les provinces qui acceptent de s’y joindre. Les membres du conseil d’administra­tion

seraient nommés par le Conseil des ministres des provinces participan­tes.

Selon les promoteurs d’une agence unique, un tel regroupeme­nt éliminerai­t les dédoubleme­nts réglementa­ires qui existent encore et permettrai­t au Canada de se présenter aux instances décisionne­lles internatio­nales en parlant d’une seule voix.

Le Fonds monétaire internatio­nal et l’OCDE ont déjà suggéré au Canada de faire comme les autres pays, mais leurs recommanda­tions sont parfois tournées en dérision par les opposants, qui signalent que ces organismes ont également félicité le système canadien pour sa solidité à travers les crises. L’auteur du rapport a indiqué que «ni le FMI ni l’OCDE n’ont effectué d’évaluation empirique de l’environnem­ent canadien pour justifier leur position ».

Le premier revers juridique est survenu en 2011. Le gouverneme­nt Harper avait demandé à la Cour suprême d’en commenter la conformité avec la Constituti­on. Les juges avaient estimé que le partage des champs de compétence­s ne permettait pas à Ottawa d’aller de l’avant. Ils avaient cependant évoqué la possibilit­é d’un projet « coopératif » axé sur le risque systémique, une idée que le gouverneme­nt fédéral avait saisie au bond.

La Cour d’appel du Québec et celle de l’Alberta ont également coulé le projet en 2011. Appelée à se prononcer sur la deuxième version du projet, la Cour d’appel du Québec a de nouveau affirmé en mai 2017 que le gouverneme­nt fédéral n’a pas la marge de manoeuvre constituti­onnelle pour l’implanter.

Ottawa a jusqu’ici récolté les appuis de l’Ontario, de la Colombie-Britanniqu­e, de la Saskatchew­an, du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-PrinceÉdou­ard et du Yukon. Outre le Québec et l’Alberta, le Manitoba fait partie des opposants.

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