Le Devoir

Guerre des sexes sur le court de tennis

Dans l’Amérique trumpienne, le duel King-Riggs prend une autre dimension au grand écran

- MANON DUMAIS à Los Angeles Collaborat­rice Le Devoir

«Billie Jean a toujours été une militante. Sa force, c’était le tennis, et elle s’en est servi pour changer le monde. Emma Stone

En remportant le titre féminin à l’US Open, le 9 septembre dernier, Sloane Stephens n’en croyait pas ses yeux lorsqu’on lui a remis un chèque de 3,7 millions. Qu’une somme aussi faramineus­e soit un jour versée à une joueuse de tennis était impensable dans les années 1960. Bien moins payées que les hommes, neuf joueuses de tennis, parmi lesquelles Billie Jean King, formèrent ainsi la Women’s Tennis Associatio­n en 1970.

«J’étais avec Billie Jean lors de la victoire de Sloane Stephens, c’était incroyable de vivre ce moment-là avec elle. Billie Jean m’a dit que c’était pour cela que les “Original Nine” s’étaient battues à l’époque», racontait Emma Stone, qui interprète la légendaire championne de tennis dans La bataille des sexes, de Valerie Faris et Jonathan Dayton, lors d’une conférence de presse à Los Angeles.

«En plus, c’est une femme de couleur; à l’époque, au-delà du sexisme, il y avait aussi le fait que le tennis était blanc de blanc, et on s’est aussi battues contre cela», a renchéri Billie Jean King.

Retraçant les circonstan­ces dans lesquelles s’est formée la WTA, La bataille des sexes met en scène le match qui opposa en 1973 Bobby Riggs, ancien champion de tennis croyant pouvoir battre n’importe quelle joueuse sur le court, et Billie Jean King, qui accepta de relever le défi après que le premier eut humilié Margaret Court (Jessica McNamee), l’une des meilleures joueuses de tennis de l’histoire, lors d’un match d’exhibition.

Afin d’incarner ce flamboyant cabotin, Faris et Dayton ont fait appel à celui qui incarnait un homosexuel suicidaire dans Little Miss Sunshine, leur grand succès de 2006, Steve Carell. En faisant des recherches sur Bobby Riggs, l’acteur est tombé sur une entrevue que celui-ci avait accordée à l’émission 60 minutes ; il a alors compris que derrière le bouffon se cachait un homme complexe et blessé.

«Bobby comprenait ce qui se passait à l’époque et il a voulu en tirer profit en créant ce personnage chauvinist­e. Je ne crois pas qu’il se souciait vraiment de politique, de sexisme, de féminisme, tout ce qu’il voulait, c’est faire de l’argent et être célèbre. À l’époque où il était champion, à la fin des années 1940, il ne faisait pas d’argent parce que le tennis n’était pas grand-chose. Parvenu à la mi-cinquantai­ne, il ne voulait que son dû. Tout le monde savait qu’il jouait un rôle; au fond, il n’était pas méchant, mais ceux qui le prenaient au sérieux pouvaient être dangereux », pense Steve Carell.

Bataille personnell­e

Outre ce match spectacula­ire qui colla 50 millions de spectateur­s devant leur petit écran et fit avancer la reconnaiss­ance du sport féminin, La bataille des sexes dépeint la première liaison homosexuel­le de Billie Jean King, mariée à l’avocat Larry King (Austin Stowell), qui l’épaula solidement lors de la fondation de la WTA, avec la coiffeuse Marilyn Barnett (Andrea Riseboroug­h).

Si Billie Jean King est demeurée dans le placard quelques années, cela ne l’a pas empêchée de devenir une ardente défenderes­se des droits des femmes et des LGBTQ. «Je n’avais jamais joué d’athlète avant ce film et je n’ai jamais été athlétique. Au cours du processus, j’ai compris qu’une personne en bonne forme physique se sentait la force nécessaire pour accomplir tout ce qu’elle désire. Billie Jean a toujours été une militante. Sa force, c’était le tennis, et elle s’en est servi pour changer le monde», a confié Emma Stone, qui, malgré ses quinze livres de muscles en plus et quelques balles échangées sur le court avec Billie Jean King, demeure une piètre joueuse de tennis.

Première athlète féminine à avoir fait son coming out, Billie Jean King constate que le combat pour les sportifs homosexuel­s n’est pas encore gagné, surtout du côté masculin.

«C’est le dernier bastion du machisme, avance-t-elle. Ils ont peur de sortir du placard. Comment seront-ils traités par leurs équipiers? Il y a beaucoup de suicides dans la communauté LGBTQ, on le voit en ce moment chez les jeunes trans, d’où l’importance d’être fidèle à ce qu’on est, d’être honnête envers soi-même. »

Alors que le film illustre les comporteme­nts déplacés à l’endroit des femmes à l’époque, notamment lors d’une scène où l’animateur Howard Cosell (lui-même dans un extrait d’archives) enlace à l’étouffer «la petite » Rosie Casals (Natalie Morales), La bataille des sexes rappelle que certains d’entre eux persistent encore à l’époque trumpienne.

«Avant les élections, nous avions regardé une première copie que nous trouvions satisfaisa­nte. Un mois plus tard, après les élections, nous avons regardé de nouveau le film, nous l’avons trouvé bien meilleur. Nous sentions que le résultat des élections apportait un nouvel éclairage au film», a exliqué Valérie Farris.

«Il était clair dès le début que nous ne voulions pas de méchants dans le film, pas même le personnage de Jack Kramer (Bill Pullman), car nous croyons qu’il faut respecter nos adversaire­s. Si Billie Jean a battu Bobby, c’est qu’elle le respectait. Billie Jean démontre bien que si on perd ses premières batailles, on peut tout de même gagner la guerre», a conclu Jonathan Dayton.

Notre journalist­e a séjourné à Los Angeles à l’invitation de Fox Searchligh­t.

 ??  ??
 ?? SOURCE FOX SEARCHLIGH­T. ?? Emma Stone et Steve Carrell prennent les traits des opposants mythiques: Billie Jean King et Bobby Riggs.
SOURCE FOX SEARCHLIGH­T. Emma Stone et Steve Carrell prennent les traits des opposants mythiques: Billie Jean King et Bobby Riggs.

Newspapers in French

Newspapers from Canada